Un article paru jeudi 27 juillet dans le New York Times a agité les rédactions de la presse moyen orientales, l’éditorialiste Thomas Friedman laissant entendre qu’un accord de normalisation israélo-saoudien était sur le point d’être conclu.
«J’envisage un accord majeur pour le Moyen-Orient », lui aurait déclaré le président américain lors d’une entrevue, ajoutant qu’il réfléchissait à un pacte de sécurité entre les États-Unis et l’Arabie saoudite qui impliquerait la normalisation des relations entre Riyad et Israël, « à condition que ce dernier fasse des concessions aux Palestiniens afin de préserver la possibilité d’une solution à deux États ». Ce dernier point semble avoir été « posé là » comme un vœu pieux et selon Bader al-Saïf, professeur de Sciences politiques et économiques à l’Université du Koweït, « beaucoup d’obstacles se dressent sur la voie d’un pacte de sécurité mutuelle, d’une assistance au programme nucléaire civil et d’autres accords d’armement si telle est la demande saoudienne, en plus d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale ». En effet, il est très improbable que la coalition au pouvoir à Tel Aviv, comprenant les ultraorthodoxes et l’extrême droite, accepte d’envisager la moindre concession aux autorités palestiniennes.
Le jour même de la publication de cet article du New York Times, le ministre israélien de la Sécurité nationale a déclaré à la radio de l’armée : « Si cet accord inclut des concessions à l’Autorité (palestinienne), la cession de territoires, l’armement de l’Autorité ou l’octroi de pouvoirs aux terroristes, alors je m’y opposerai certainement. »
Toutefois, ces positions pourraient bien être de simples postures et le pragmatisme politique et économique qui semble désormais régner sur les relations israélo-arabes jouera probablement un rôle déterminant dans ces négociations. Benjamin Netanyahu ne s’y est pas trompé en annonçant, lors d’une allocution télévisée le dimanche 30 juillet, que de nouvelles lignes de train pourraient à terme relier Israël au royaume saoudien puis à l’Inde : « À l’avenir, nous serons en mesure de transporter des marchandises par voie ferrée d’Eilat à notre Méditerranée, et de relier Israël par train à l’Arabie saoudite et à la péninsule Arabique ». L’idée n’est pas nouvelle et au lendemain des accords d’Abraham entre les EAU et Israël en 2020, le chef du Conseil économique national Avi Shimhon avait annoncé au journal financier israélien Globes le projet d’une voie ferrée reliant les Émirats au port de Haïfa via l’Arabie saoudite et la Jordanie, mais aussi la restructuration du port d’Eilat, le tout via un financement émirati estimé à 10 milliards de dollars, un investissement visant à terme une intensification des échanges commerciaux entre l’Europe et les pays du Golfe, et leur transit par les ports israéliens. Enfin, depuis juillet 2022 et la tenue du sommet virtuel I2U2 rassemblant l’Inde, les EAU, Israël et les États-Unis, le « Middle East-India Food Corridor » a été pensé pour assurer la sécurité alimentaire de la région et pour permettre à New Delhi d’exporter plus rapidement ses marchandises vers l’Europe qu’en utilisant la voie maritime traditionnelle via le Canal de Suez. Coté américain, on peut imaginer, comme l’a souligné Sophie Boutière-Damahi dans l’Orient-le Jour, « le développement de cette nouvelle route commerciale représenterait pour Washington un contrepoids géopolitique à l’expansion économique de la Chine dans l’Indopacifique et au Moyen-Orient », ce qui expliquerait l’intense activité déployée par l’administration Biden pour activer les perspectives de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite.
Tous ces développements ne sont pas sans inquiéter le troisième grand acteur de la scène moyen orientale, la République Islamique d’Iran qui craint avant tout l’établissement d’un bloc anti-Iran au Moyen-Orient et s’est empressée de dénoncer ces négociations par la voix du porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères : « Cela détériorerait la paix et la stabilité régionales. » Ce qui est certain, c’est qu’un tel accord mettrait en péril la détente actée par l’accord de normalisation conclu à Pékin le 10 mars dernier entre l’Iran et l’Arabie saoudite et que Téhéran fera l’impossible pour le dynamiter !
Sophie Akl-Chedid