Principal architecte de la réconciliation avec Damas, Abou Dhabi a été le premier Etat arabe à avoir engagé dès 2018 sa normalisation avec le régime Assad en rouvrant son ambassade dans la capitale syrienne et en qualifiant le conflit syrien de lutte entre Bachar el-Assad et l’extrémisme islamique. Depuis, Mohammed ben Zayed pose patiemment des jalons sous diverses formes de coopération afin de préparer aux Emirats Arabes Unis une pole position pour remporter une part importante des juteux contrats de la future reconstruction de la Syrie estimée au bas mot à 400 milliards de dollars.
Or, le Caesar Syria Civilian Protection Act confirmé en loi en décembre 2019 par le Président américain Donald Trump sanctionnait le gouvernement syrien et ses potentiels soutiens financiers en interdisant dorénavant toutes transactions financières avec le régime Assad sous peine de sanctions fiscales, exception faite des projets d’aide humanitaire. C’est le séisme dévastateur du 6 février dernier, avec ses 6000 morts, qui a donné l’occasion à la fédération émiratie d’ancrer sa présence en Syrie à travers de tels projets. Dans la foulée de la catastrophe, Abou Dhabi ouvrait un premier bureau de liaison à Damas afin de coordonner ses activités sur place avec une dotation immédiate de 50 millions de dollars destinés à l’aide d’urgence tant dans les zones rebelles que dans celles sous contrôle du gouvernement, à laquelle s’ajoute un projet de reconstruction d’un millier de logements d’une valeur de 18 millions de dollars à Lattaquié, principale région alaouite du pays d’où la famille Assad est originaire.
Un rapport paru dans la plateforme médiatique Orient XXI en juin 2020 affirme par ailleurs que des agents des renseignements syriens auraient été formés aux Émirats à travers un programme militaire allant de l’informatique aux entraînements militaires de pilotes de l’armée syrienne. Outre l’intérêt économique astronomique, l’investissement émirati dans l’aventure syrienne aurait également des visées géopolitiques et selon l’analyste Samuel Ramani du Middle East Institute, ce rapprochement d’un Etat phare du Golfe Persique avec Damas, tout comme l’invitation spectaculaire de Bachar el-Assad à participer au sommet de la Ligue arabe du 19 mai dernier à Djeddah par le prince héritier saoudien Mohammad ben Salman en personne, aurait pour but d’éloigner la Syrie de son parrain iranien. Toutefois, les résultats demeurent symboliques, les pays du Golfe étant (encore) contraints de ménager la chèvre occidentale accrochée à ses sanctions et le chou de l’axe Téhéran\Damas protégé par Moscou sans oublier leurs obligations vis-à-vis de leurs futurs collègues au sein des BRICS, à partir du 1er janvier 2024.
Dans l’attente, Abou Dhabi devra se contenter d’opérations humanitaires si toutefois la situation ne dégénère pas à nouveau en Syrie où un vent de contestation souffle à nouveau depuis plusieurs semaines pour protester contre la crise économique galopante et la corruption endémique du système, non seulement dans les régions attachées à la rébellion mais aussi, c’est un fait nouveau, dans la montagne druze et jusqu’aux grandes villes comme Alep et Damas.
Sophie Akl-Chedid