Les critiques de l’euro ne sont pas nouvelles, dès 2016, l’économiste américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, montrait comment la monnaie unique menaçait l’avenir de l’Europe. Ce réquisitoire était aussi formulé par l’excellent Charles Gave, le premier plutôt néokeynésien, le second libéral. Tous deux montraient que l’application d’une même politique monétariste à des pays aux économies hétérogènes avaient des conséquences graves comme la pression à la baisse sur les salaires, une faible croissance, le chômage, et l’ austérité.
Le problème le plus grave est donc que le fonctionnement de la zone Euro a entraîné des divergences économiques croissantes au lieu de favoriser la convergence économique des États membres, ce qui était le but initial. A dire vrai, un but plus politique qu’économique, l’arrière-pensée politicienne a conduit à la confusion des genres. On se souvient de la phrase de Margaret Thatcher, premier ministre britannique, hostile au projet : « [L’union économique et monétaire] est le cheval de Troie d’une Europe fédérale, ce que nous refusons absolument et totalement». Complotistes Stiglitz, Gave? Allons donc!Ce risque est aussi souligné par des économistes français d’horizons divers, Patrick Artus, Henri Sterdyniak, Christian Saint-Etienne. En 2022, la baisse de l’euro l’a conduit en dessous de la parité avec le dollar. Cette chute semble enrayée en juin 2023, l’euro a retrouvé de la vigueur, surtout à la mesure de la baisse du dollar et s’échange environ à 1,10 dollar pour 1 euro. Malgré la guerre en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie et l’inflation, l’euro est resté la deuxième monnaie la plus utilisée dans le monde en 2022, une résilience qu’il ne faut pas négliger.
L’euro, une tare congénitale.
Selon Charles Gave : « Cette construction imbécile de l’euro, elle a commencé par faire sauter toute l’économie du sud. Deuxièmement ça a fait sauter toutes nos banques. C’est peut-être quand ça arrivera aux retraites que ces crétins arrêterons de voter Macron.»
Aucun pays à l’origine ne devait dépasser 3% de déficit budgétaire et 95% d’endettement et il était interdit à la banque centrale d’acheter des obligations d’état (le QE, pour remettre des liquidités dans le système).
À partir de Draghi gouverneur de la BCE un dilemme est apparu : soit le traité était respecté et l’Euro s’effondrait, soit le Traité était trahi et la BCE achetait des obligations pour permettre à l’Italie de ne pas être en faillite. Aujourd’hui, en Allemagne, l’inflation atteint environ 7 %. La Bundesbank n’aura de cesse de demander que l’on remonte les taux, les Allemands sont encore marqués par le souvenir des graves crises inflationnistes de 1922 /23 et 1945/1949. Sauf que ni la France ni l’Italie ne pourraient le supporter. Donc, il y a divorce manifeste dans le (faux) couple franco-allemand. Selon la règle européenne, la Banque centrale européenne et les banques centrales des États membres n’ont pas le droit de financer directement les États membres. Chacun doit financer sa dette sur les marchés financiers, ce que Macron fait à la louche. Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, préconise, soit une sortie «en douceur» de l’euro, par un «divorce à l’amiable», soit la mise en place d’un «euro flexible ». Dans cette seconde hypothèse, « des pays (ou groupes de pays) différents pourraient avoir chacun leur propre euro », dont la valeur fluctuerait au sein d’une fourchette commune (quelque chose comme l’ancien Ecu).
Mais, de la sortie de l’euro à la sortie de l’UE, il n’y a qu’un pas… Dans les traités, à l’origine, aucune disposition ne permettait de se retirer de la zone euro. Depuis le traité de Lisbonne néanmoins, l’État qui le souhaiterait devrait recourir à l’article 50 du traité de Lisbonne sur le retrait de l’Union. Le Royaume-Uni a été le premier État à utiliser cette faculté.
Un Italexit ?
La crise des dettes et des déficits rendrait les conséquences encore plus dramatiques pour Italie, Espagne, Portugal, Grèce et la France. Cela se traduirait par une augmentation des écarts de taux auxquels les États empruntent. C’est l’Italie qui est en première ligne. En effet, la crise politique italienne avant l’arrivée des populistes au pouvoir, a servi de prétexte pour une attaque spéculative contre la dette italienne sans précédent depuis 2011 : le spread entre l’Italie et l’Allemagne, pays de référence, a ainsi augmenté de 240 points de base (2,40 %) (comment faire une monnaie unique si les taux d’intérêts varient d’un pays à l’autre ?) c’était le jour de la démission de Mario Draghi de son poste de Président du conseil. Si cette situation revenait et touchait d’autres pays, ce serait comme en 2010-2012, l’existence même de la zone euro qui serait menacée. Car la masse énorme de liquidités que la BCE a déversé sur les marchés financiers a permis de masquer les déficiences congénitales de la zone euro mais a engendré l’inflation. « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus ». Cette maxime de Warren Buffet pourrait s’appliquer ici.
Mais la dépendance de l’Italie au plan de relance européen négocié par Mario Draghi devrait limiter sa marge de manœuvre, c’est en partie ce qui explique la «prudence» de Georgia Meloni. L’UE achète à coups de subventions la docilité des peuples, il en est ainsi pour la Pologne et la Hongrie et tout état candidat à la dissidence.
Déjà l’Italie avait frôlé la remise en cause de l’euro en 2019. C’est le titre du livre d’Alberto Bagnai, professeur d’économie devenu sénateur de la Lega (2018) en charge des questions économiques et monétaire du sénat italien : Le coucher de soleil de l’euro. Ce Florentin fut aussi enseignant vacataire auprès de l’Université catholique du Sacré-Cœur et député à l’Assemblée nationale italienne. Si, d’aventure, le soleil de l’euro devait se coucher en Italie, le système européen monétaire et institutionnel hérité du traité de Lisbonne et de Maastricht n’y résisterait pas. Le parlement italien avait, à l’époque, voté la possibilité d’émettre des bons du Trésor, les miniBOT, un instrument financier pour faire pièce à l’intransigeance de Bruxelles et aux impasses budgétaires. Pour faire bref, la monétarisation de bons du trésor : miniBOT (Buoni del Tesoro – Bons du Trésor). Un instrument de compensation financière qui aurait fonctionné comme une nouvelle liquidité. Le projet a fait long feu, le boulet de l’euro reste difficile à quitter. Mais après Lampedusa, crise migratoire et crise budgétaire font mauvais ménage, on peut s’attendre de nouveau à ce que l’Italie ébranle la zone euro. A tout le moins, la solution intermédiaire de Stiglitz, la suppression de la monnaie unique ou la création de deux monnaies distinctes, un euro du nord et un euro du Sud, sont une des options réalistes.
L’audience rencontrée par l’idée, dans de nombreux pays du continent, confirme que la remise en cause de l’euro n’est plus un tabou, en attendant l’UE.
Olivier Pichon