Ségur

Étonnante comtesse de Ségur !

Quelle excellente idée que de faire découvrir aux jeunes lecteurs la vie de leurs auteurs favoris ! Il faut dire que la tâche se trouve facilitée avec celle de la comtesse de Ségur : née en 1799 dans la meilleure société russe, fille du fameux Rostopchine qui mit le feu à Moscou pour vaincre Napoléon l’envahisseur, on apprend par cette biographie fort bien menée comment elle passa du château de Voronovo à la maison des Nouettes, sa chère thébaïde de Normandie, où elle aimait recevoir enfants et petits-enfants, qui étaient toute sa vie.

On découvre que Les Malheurs de Sophie s’inspirent de l’enfance de la comtesse, avec en filigrane la figure de sa terrible mère, Ekaterina – qui donne notamment une image bien piètre d’une convertie au catholicisme, et obtient celle de sa fille dans d’atroces conditions – mais aussi la figure aimée de son père, le bon Fédor, modèle du général Dourakine. Evoquer le destin de Sophie permet de le resituer dans l’histoire de France et sa succession de gouvernements au XIXe. Le développement technique, avec celui du train, joue aussi un rôle dans la carrière de Sophie…

L’auteur, Gertrude Dordor, ne gomme pas la mésentente avec son volage mari. Sophie, si attachée à sa famille, savait élargir son cercle et recevait aux Nouettes : le journaliste catholique Louis Veuillot, Eugène Sue, Charles Gounod, le père Huc, et bien d’autres. Le déroulement d’une journée de la comtesse, de la messe quotidienne aux heures consacrées à l’écriture, tout cela au milieu d’une vie de famille intense, est édifiant, comme son choix de consacrer des sommes récoltées près de son éditeur pour des familles pauvres.

La genèse d’une œuvre

En même temps que la vie mouvementée de la comtesse, il est passionnant pour les jeunes lecteurs de découvrir la genèse d’une œuvre. Des rencontres peuvent se montrer décisives, comme celle de Louis Veuillot, déjà évoqué, qui sera celui qui se rendra compte de la valeur des textes écrits pour le cercle familial. La comtesse, écrivant pour ses petites-filles, refuse d’édulcorer ses récits où elle ne craint pas d’évoquer aussi les côtés sombres de l’âme humaine, trop souvent cruelle. Elle défend ses textes bec et ongles face à son éditeur qui voudrait « lisser ». A une époque où les livres pour enfants se montrent trop souvent « ineptes », « d’une niaiserie inqualifiable » (Louis Veuillot), la comtesse invente une littérature vraiment littéraire et vraiment adaptée aux enfants. Le jugement de Veuillot s’avère prophétique et le tirage des ouvrages écrits par Sophie de nos jours en est l’illustration : « Ses livres vivront par la grande qualité littéraire, celle qui fait vivre, le naturel. »

Anne Le Pape

• Gertrude Dordor, La Comtesse de Ségur, Une aristocrate russe en France, coll. Vrais héros, vraies histoires, éd. Mame.

Signalons les belles rééditions de livres de la comtesse de Ségur, toujours aux éditions Mame, où l’on trouve déjà Les Petites filles modèles et Les malheurs de Sophie joliment illustrés dont les couvertures colorées rappellent celles des éditions originales chez Hachette.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *