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Les lectures de Madeleine Cruz : les Vanuxem, un couple de héros français

J’étais le week-end dernier à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, qui se trouve en face de l’entrée du musée d’Orsay. S’y tenait en effet la « journée annuelle d’entraide », sorte de kermesse de haute tenue au profit des anciennes élèves des écoles des maisons d’éducation de la Légion d’honneur. Une amie m’y a entrainé, sans déplaisir, je dois avouer.

Je me suis fait photographier à côté du général Lecointre, un homme de belle allure qui est le grand chancelier de cet ordre prestigieux créé par Napoléon.

J’ai aussi acheté un curieux petit ouvrage intitulé Confidences d’une femme soldat, Monique Danjou-Vanuxem. Le livre était présenté par quatre des filles de cette « femme soldat » dont je ne savais rien, en fait. Mais en feuilletant le livre, j’ai précisément été frappée par le fait que cette extraordinaire héroïne de l’armée française, – une authentique aventurière -, est totalement absente de nos livres d’histoire.

Pourtant Monique Vanuxem, née en 1916 et disparue en 2014, a eu un destin absolument fabuleux. Ce n’est pas par copinage qu’elle a reçu la croix de guerre en 1944, et qu’elle a été faite Commandeur de la Légion d’honneur en 2005. En 1943, à Casablanca, elle signa un engagement volontaire pour la durée de la guerre ; elle était la seconde femme enrôlée dans l’Armée d’Afrique. A partir de ce moment, on va la retrouver sur les principaux champs de bataille d’Afrique du Nord, d’Italie (en particulier au Monte Cassino), de France et d’Allemagne, ceci jusqu’en 1945. Mais après-guerre elle « rempile », et elle resurgit sur tous les théâtres d’opération : en particulier en Indochine et en Algérie. Son rôle ne sera pas limité aux fonctions hospitalières ; elle va participer à des opérations de type militaire, – en tout cas très sensibles -, sur les terrains chauds où est engagé notre pays, à l’époque, tant au Vietnam, auprès des populations Muongs et catholiques, futures victimes d’un véritable génocide communiste, que dans les Douars d’Algérie.

Les photos du livre nous montrent une très jolie femme au regard volontaire. Cet engagement militaire ne l’a d’ailleurs pas empêché de devenir mère de six enfants !

On devrait en faire un film. Mais en France, pour l’heure, je ne vois guère surgir l’équivalent d’un Clint Eastwood, et Pierre Schoendoerffer nous a quitté il y a 13 ans déjà…

Paul Vanuxem au superlatif

Après avoir lu ce court ouvrage, je me suis penchée sur la personnalité de son mari, le général Paul Vanuxem (1904-1979). Si je pouvais employer des superlatifs, j’aimerais pouvoir le faire parce que nous avons là un personnage au destin plus incroyable encore, si c’est possible. Ce professeur de philosophie incorpore Saint-Cyr un peu par hasard en 1930, et sert dans les tirailleurs marocains. Blessé à Sedan en 1940, il rejoint les Forces Françaises Libres après l’invasion de la zone libre, en 1942, et il participe à la campagne d’Italie, avec le général Alphonse Juin. Comme son épouse, il va notamment participer aux combats du Monte Cassino, aux batailles de France, puis d’Allemagne, jusqu’à la reddition. Quand commence la guerre d’Indochine, on le retrouve sur le front, aux côtés du général de Lattre de Tassigny.

En 1975, le journal Le Monde (qui est alors dans sa période d’extrême gauche, avec apologie en une des Khmers rouges, et autres combats nauséabonds comme le soutien aux pédophiles) va tenter d’amorcer une campagne contre le général Vanuxem, accusé par le quotidien de la rue des Italiens d’être en partie responsable du sort tragique des Indochinois. La campagne sera sans lendemains.

Mais c’est l’affaire algérienne qui va attirer les projecteurs sur Vanuxem, devenu général en 1955, sous les ordres d’un autre pur héros, Raoul Salan. Vanuxem déclare à l’époque qu’il ne veut pas revivre ce qu’il a connu en Indochine, l’abandon des populations pro-françaises, avec pour conséquence leur extermination, ou, au mieux, leur enfermement dans des camps, les lavages de cerveaux. Il se prononce clairement pour le maintien des départements algériens au sein de la nation française. De Gaulle n’apprécie pas, car il a déjà en tête l’abandon des deux départements français d’Algérie. Il le fait muter au poste d’adjoint au commandant en chef des troupes françaises en République Fédérale Allemande.

Deux ans de prison pour rien

Intervient alors l’évènement le plus incroyable ou en tout cas le plus inattendu de sa carrière : les barbouzes gaullistes l’accusent d’être le chef clandestin de l’OAS. Sur quelles bases ?

Il est connu pour son hostilité à l’abandon des pieds-noirs, des harkis, des populations francophiles. Cette hostilité, il a eu l’occasion de l’exprimer clairement à de Gaulle lui-même, en, tête à tête, car ce dernier, quand il venait en Algérie, après le 13 mai 1958, allait chez Vanuxem, quand il visitait la région de Bône, comme il allait chez Salan quand il arrivait à Alger.

Monique Vanuxem rapporte dans son livre de souvenirs cette phrase de de Gaulle, qui corrobore d’ailleurs un témoignage de l’ancien ministre gaulliste Alain Peyrefitte : « Vous savez, Vanuxem, si nous n’envisageons pas l’indépendance de l’Algérie, dans cent ans c’est un Algérien qui sera président de la République française et Colombey-les-Deux-Eglises s’appellera Colombey-les-Deux-Mosquées ! ».

Or l’Algérie est devenue indépendante, et néanmoins un « Colombey-les-deux-Mosquées » ne semble plus une hypothèse totalement absurde, aujourd’hui. Nous sommes pourtant encore à quarante années de l’échéance imaginée par de Gaulle.

Arrive le putsch d’Alger. Vanuxem est soupçonné d’être partie prenante du complot, bien qu’en poste en Allemagne. Il est immédiatement mis « en disponibilité », et peu après la police l’arrête. Il va alors subir deux années de prison, sans avoir été jugé ni condamné, a fortiori. Alors pour quels motifs ? Sur quelles bases ? En raison de ce qu’il pense sur l’Algérie française, position qu’il avait donc exprimée en toute transparence à de Gaulle lui-même ?

Non, les enquêteurs détiennent une information qu’ils croient déterminante, contre lui : Paul Vanuxem serait tout simplement le chef, le chef suprême et secret, de l’OAS. Ce chef n’est connu que par son pseudonyme : « Verdun ». Or Verdun commence par la lettre « V ». Vanuxem est le seul général dont le nom commence aussi par la lettre « V ». L’affaire est dans le sac !…

Après leur arrestation, les généraux putschistes expliqueront que Vanuxem n’était pas leur chef, et même qu’il ne faisait pas partie de l’OAS. Le chef de l’OAS, c’était Salan. Il n’empêche que Vanuxem ne fut libéré qu’après avoir subi deux années de prison, pour un motif erroné. C’est seulement en effet le 7 septembre 1963 qu’il fut acquitté par la Cour de Sureté de l’Etat de l’accusation d’avoir été le chef secret de l’OAS. Entre temps ses deux filles aînées avaient été chassées de l’école de la Légion d’honneur.

Bien entendu Vanuxem fut rétabli dans l’ensemble de ses décorations : Croix de la Valeur militaire, Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs, Croix de guerre 1939-1945, Grand officier de la Légion d’honneur (1957). Mais passablement échaudé par ce long séjour en prison, il quitta l’armée et se reconvertit, brillamment, dans le journalisme. On lui doit d’ailleurs quelques bons livres sur le Proche et l’Extrême Orient, ainsi qu’un ouvrage sur le maréchal de Lattre de Tassigny.

La devise du général Vanuxem était très belle : Dum credo vinco (si je crois, je vaincs). Et son livre ultime, Le dernier combat, il l’a dédié « à tous ceux qui sont morts sous mes ordres dont le deuil me deviendrait insupportable si je devais croire qu’ils sont morts pour rien ».

« L’histoire avec un grand H »

Le hasard a fait que, toute petite fille, j’ai assisté, en septembre 1982, je crois, à la messe de mariage de sa cinquième fille, non loin du château de Chenonceau. Je n’avais alors d’yeux que pour la jeune et si jolie mariée, mais j’ignorais complètement que Paul et Monique Vanuxem, ses parents, étaient d’authentiques héros.
– Tu as vu le général Vanuxem ! s’est exclamé l’oncle Brigneau, soudain passionné par mon récit du mariage, quelques jours plus tard. Mais ma chère Madeleine, sais-tu que tu as fréquenté l’héroïsme et l’Histoire avec un grand H, ce jour-là ?

  • Et l’amour, aussi, mon cher oncle, ne l’oublions pas.
  • Ah, Madeleine, ton côté fleur bleue te perdra !

Madeleine Cruz

Confidences d’une femme soldat. MoniqueDanjou-Vanuxem, par Hubert Verneret, Historicone Editions, 3 chemin de l’Eglise, 85210 Sainte-Hermine, 12€.

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