Suite à sa plainte déposée fin décembre contre Israël pour génocide à Gaza, jouant sur son statut intouchable de survivante de l’apartheid et voulant porter la voix du Sud global, l’Afrique du Sud pensait obtenir une décision historique de la part de la Cour Internationale de Justice. C’est une énième gesticulation de cet organe international qu’elle a obtenue le 26 janvier, réponse pavée de bonnes intentions qui en resteront très probablement là.
La Cour n’a statué que sur la demande de mesures conservatoires d’urgence et non sur la question de savoir si Israël commet réellement un génocide à Gaza. Beaucoup de palestiniens ne sont pas dupes et l’amertume a pris le pas sur les déclarations d’autosatisfaction du ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riyad al-Maliki, qui s’est félicité des ordonnances de la CIJ en déclarant qu’elles sont « un avertissement important qu’aucun État n’est au-dessus de la loi ». Plus réalistes, de nombreuses personnalités palestiniennes ont regretté que la CIJ ne soit pas allée plus loin. « Nous sommes très reconnaissants à l’Afrique du Sud d’avoir déposé ce dossier, mais les Palestiniens aspiraient à un cessez-le-feu immédiat », a ainsi regretté Lubna Farhat, membre du conseil municipal de Ramallah interrogée par al-Jazeera. Plus cassante encore, la journaliste gazaouie Hind Khoudary ne s’est pas payée de mots sur son compte X : « Félicitations à la CIJ et au monde. Vous avez encore laissé tomber les Palestiniens », a-t-elle dénoncé. En effet, comble de la langue de bois juridique et diplomatique, la CIJ, après s’être déclarée apte à instruire et juger l’affaire Afrique du Sud contre Israël pour genocide, s’est fendue d’une ordonnance appelant l’État hébreu à « prendre des mesures » pour empêcher un « génocide » à Gaza, sans toutefois exiger un cessez le feu. Elle aurait tout aussi bien pu dire : « continuez le job mais soyez plus discret. » Evoquant une situation d’urgence face aux 25 000 morts de Gaza -selon le ministère de la Santé du Hamas- Pretoria avait demandé à la plus haute instance judiciaire de l’ONU d’avaliser 9 ordonnances provisoires, dont un cessez le feu immédiat, censées protéger les droits des parties (palestiniennes) en l’attente d’un jugement définitif.
Toute personne ayant la moindre expérience d’une situation de guerre et à plus forte raison de guerre urbaine est en droit de se demander si les juges de la CIJ sont réellement compétents ou si ce cirque ne vise qu’à occuper les « gueux » pendant que les « grands » décident. En effet, la CIJ s’est contentée de recommander qu’Israël « prenne toutes les mesures pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention de 1948 sur le génocide », dont notamment le « meurtre de membres du groupe », « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale », la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » ainsi que des « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ». A charge pour Israël de présenter dans un délai d’un mois un rapport détaillant les mesures prises en ce sens, ainsi que de faciliter l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza. Sachant que l’Etat hébreux vient de proposer un cessez le feu de deux mois en échange de la libération des otages détenus par le Hamas, proposition rejetée par ce dernier, il y a fort à parier que Tel Aviv n’aura pas de difficulté à démontrer sa « bonne foi » concernant ce point précis et à évoquer la notion de « dommages collatéraux » concernant le sort des civils pris entre le marteau et l’enclume.
Benjamin Netanyahu a d’ores et déjà défendu sur son compte X une « guerre juste, qui ne ressemble à nulle autre » même si certains, pensant y voir une fissure dans le système de défense israélien, soulignent avec délectation le fait que le juge Aaron Barak, nommé par le gouvernement Netanyahu afin de représenter l’État d’Israël dans l’affaire, ait voté en faveur de deux des six mesures conservatoires indiquées par la Cour, notamment concernant l’aide humanitaire. Or, c’est au contraire d’une habileté suprême qui abondera dans le sens de la « guerre juste » et de la « bonne foi ».
Enfin, symbole de son impuissance, les ordonnances de la CIJ, si elles sont en principe juridiquement contraignantes, peuvent être bloquées par veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Sophie Akl-Chedid