Dans un article publié le 28 février 2019, l’hebdomadaire Le Point évoquait la déchristianisation de la France, jusqu’à soutenir l’opinion selon laquelle nous serions « entrés dans une ère « postchrétienne1 ». » En mars 2023, une enquête de l’INSEE citée par le journal La Croix révélait que seules 29 % des personnes ayant entre 18 et 59 ans se déclaraient catholiques en 20202.
Une des conséquences de ce phénomène est que la France, « fille aînée de l’Église », si elle reste un pays incontestablement chrétien du point de vue de son histoire, de son patrimoine et de sa culture, est désormais peuplée d’habitants dont le plus grand nombre méconnaissent la doctrine, les dogmes et la signification de la religion catholique.
Or, pour les catholiques, il est important de comprendre le sens des divers moments de l’année liturgique. Pour vivre pleinement leur foi, bien sûr. Mais aussi pour expliquer aux personnes curieuses de la religion les grands moments sur lesquels l’Eglise a fondé son enseignement. D’autant qu’il n’est pas interdit aux croyants, s’ils le souhaitent, de se remémorer la Tradition de l’Eglise, et d’aller un peu au-delà des prescriptions issues du deuxième Concile du Vatican. Le temps du Carême qui, en 2024, débute le 14 février, en est un bon exemple.
Qu’est-ce que le Carême ? Dans le langage usuel, ce mot désigne une abstinence, ou encore une privation3. Pour les catholiques, il s’agit d’une période qui débute le matin du mercredi des Cendres et qui finit le soir du samedi saint. Ce temps est particulièrement riche puisqu’il englobe le dimanche des Rameaux ainsi que la semaine sainte. Le mot Carême vient du latin quadragesima dies qui signifie « quarantième jour », et la période du Carême dure effectivement quarante jours. Quarante-six jours d’affilée en réalité, mais les restrictions ne s’appliquent pas les dimanches, ce qui ramène la durée à quarante jours réels.
L’Eglise issue du deuxième Concile du Vatican a considérablement « allégé » les obligations faites auparavant aux fidèles pendant le temps du Carême. La raison officielle était l’adaptation des prescriptions traditionnelles aux contraintes de la vie moderne. Pourtant, ces contraintes n’ont pas fait fléchir autant les Eglises d’Orient. Quoi qu’il en soit, l’Eglise post conciliaire a limité au mercredi des Cendres et au Vendredi saint l’obligation traditionnelle de jeûne et d’abstinence, appelant les fidèles le reste du temps à une méditation personnelle pour accueillir le Christ et, s’ils le veulent, à pratiquer l’aumône, « par exemple sous forme de dons à des organismes d’aide au Tiers-Monde4. » Ces obligations semblent bien légères et expliquent peut-être, en partie, pourquoi les fidèles peinent à trouver un accomplissement dans une religion dont les exigences sont aussi faibles.
La Tradition de l’Eglise avant 1966 peut-elle constituer un recours pour les catholiques perplexes ?
En ce temps-là, sur le plan dogmatique, l’Eglise présentait le Carême comme une réponse à l’âme de l’homme révoltée contre Dieu et devenue du même coup l’esclave du démon, de la chair et du monde. La délivrance de l’homme a été réalisée par le Christ qui a vaincu le mal et rendu à la liberté des enfants de Dieu. Au niveau symbolique, les textes testamentaires sont marqués par le nombre quarante, qui signifie à la fois fin et nouveau départ. Par exemple, le déluge a duré quarante jours et quarante nuits, et a mis fin à une humanité déchue pour permettre un recommencement avec les enfants de Noé. Dans l’Evangile, la vie non publique du Christ a pris fin avec son retrait dans le désert où il a jeûné pendant quarante jours avant de recommencer une vie publique.
« Comme Jésus, qui s’est retiré du monde, a prié et jeûné pendant quarante jours, puis nous a appris par son enseignement et montré par l’exemple de sa passion comment il nous fallait mourir à nous-mêmes, l’Eglise, durant cette sainte Quarantaine, nous prêche la mort de l’homme de pêché en nous ; cette mort se manifestera dans notre âme par la lutte contre l’orgueil et l’amour-propre, par un esprit de prière et une méditation plus assidue de la parole de Dieu ; elle se montrera dans notre corps par le jeûne, l’abstinence et la mortification des sens ; elle se déclarera enfin dans toute notre vie par un détachement plus grand des plaisirs et des biens du monde qui nous fera donner l’aumône avec plus de générosité et nous portera à nous abstenir des fêtes mondaines5. »
Dans l’Eglise de la Tradition, le Carême consiste en un jeûne quotidien, assorti d’abstinence et complété par une mortification des sens. Jeûner signifie ne prendre qu’un seul repas par jour, sauf pour les personnes trop faibles pour le supporter. S’abstenir signifie ne pas consommer de viande, d’œufs, de fromage ou de produits laitiers. Mortifier ses sens consiste à renoncer à des plaisirs ou à des distractions dans un esprit de tempérance et de gouvernement de soi. L’esprit de prière et de méditation de la parole de Dieu appellent une pratique réelle et quotidienne des textes sacrés tels qu’ils figurent dans les Ecritures ou encore dans le Missel. Ces efforts doivent être accomplis tous les jours, pendant la sainte Quarantaine que dure le Carême.
On constate que si les prescriptions de l’Eglise en matière de Carême étaient bien plus contraignantes avant 1966 qu’elles ne le sont aujourd’hui, ces prescriptions avaient pour but d’élever l’âme, de purifier le corps et, finalement, d’améliorer la vie. Dès lors, pourquoi ne pas se conformer aux règles de l’Eglise ante conciliaire ? Leur plus grande exigence amènerait les catholiques à fortifier leur foi, à la vivre plus intensément et, pourquoi pas, par leur exemple, à inspirer leurs concitoyens et à contribuer, modestement et humblement, à une rechristianisation qui contribuerait à l’identité de la France.
André Murawski
1 https://www.lepoint.fr/politique/le-grand-bouleversement-la-dechristianisation-s-accelere-28-02-2019-2296990_20.php#11
2 https://www.la-croix.com/religion/Annoncer-Jesus-2023-lEglise-France-face-casse-tete-dechristianisation-2023-10-19-1201287511
3 Nouveau Larousse Universel, 1948
4 Théo, l’encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, 1992
5 Missel quotidien et vespéral, Société liturgique canadienne, 1943
