Lys noir

Un nouveau « Lys noir » : la chasse aux frères trois points est enfin ouverte !

En juillet 2019, les éditions Auda Isarn fêtaient le lancement d’une nouvelle collection de romans policiers, la collection « Le Lys Noir ». Pour l’occasion, une réunion avait été organisée autour de Jean Tulard, qui est l’un des meilleurs connaisseurs de cette littérature populaire, avec Jean Bourdier, sans doute.

Depuis que l’œuvre de Simenon a été réévaluée, jusqu’à intégrer La Pléiade, le fossé qui séparait littérature populaire et littérature… littéraire, a été en grande partie comblé. Ne parlons même pas d’un Conan Doyle ou d’un Maurice Leblanc, qui ont su créer des personnages, des archétypes, qui leur survivront pendant des siècles. Mais par ailleurs on ne peut plus, aujourd’hui, ignorer des écrivains comme Amila, Simonin, ADG, Le Breton, Giovanni ou Léo Malet, pour ne citer que les francophones, sans parler des anglophones, les Chesterton et autres Agatha Christie. Dans son Dictionnaire du roman policier, et aussi lors de son intervention publique de 2019, Tulard rappelait que le roman policier, le « polar » est né avec Edgar Poe, et que la filiation jusqu’à nos jours est spécialement prestigieuse. Alfred Eibel, François Rivière et Francis Lacassin font partie, comme Tulard, de ces essayistes qui ont formidablement œuvré pour « revisiter » le « polar », l’agréger en fait au domaine littéraire.

« Le Lys noir » se voulait une collection ouverte aux nouveaux talents, à la façon des « Fleuve Noir » et « Série Noire » de l’Age d’or (c’est-à-dire avant la télé en continu, les « séries » scénarisées par des professionnels du travail à la chaîne).

Le pari était osé. Mais quelques auteurs qui bénéficiaient déjà d’une petite notoriété, voire d’une certaine reconnaissance littéraire, ont accepté de jouer le jeu, donnant des textes à la jeune collection, qui publie aujourd’hui son 26e ouvrage. Quel chemin parcouru en si peu de temps !

Il se trouve toutefois que ce 26e ouvrage ne résulte pas du travail d’un auteur « en devenir », mais d’un auteur du passé. Rudy Cantel, à qui l’on doit ce Triangle qui tue, est un écrivain d’avant-guerre. Journaliste à L’Illustration, le Paris-Match de l’époque, et à La Gerbe, le journal d’Alphonse de Chateaubriant et du futur Saint-Loup, il n’avait guère laissé de traces dans l’univers des « polars ». La collection « Rouge-Gorge » qui avait publié son roman n’a compté que quatorze titres, et les tirages avaient sans doute été modestes, car je les cherche en vain, depuis que le dernier numéro du magazine Réfléchir& Agir a attiré mon attention sur cette collection. Mais ce « Rouge-Gorge » est pour le coup une vraie curiosité bibliophilique car, comme vous l’avez sans doute deviné par son titre, il s’agit d’un roman où les salauds sont des francs-maçons. L’époque (les années d’Occupation) avait offert un court créneau pendant laquelle il fut possible de mettre en cause les Loges maçonniques, pourtant exemptes, comme chacun sait de quelque crime ou malversation que ce soit…

Le roman est court, il se lit facilement, et il offre donc ce double plaisir d’être un bon petit « polar », et qui plus un « polar » d’un parfait non-conformisme. Certes le style est celui de l’époque, certes la police scientifique n’est pas véritablement au centre de l’intrigue. Mais ce polar est pour le moins une petite madeleine de Proust à déguster lentement pour en apprécier toute la saveur.

Francis Bergeron

Le triangle qui tue, par Rudy Cantel, Auda Isarn, col. « Le Lys Noir », janvier 2024, 94 p., 12€

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