Raspail

Jean Raspail survivra-t-il à Jean Raspail ?

C’est la question que ne peuvent s’empêcher de se poser tous les écrivains d’une certaine envergure, d’une certaine notoriété : survivrai-je à ma propre mort, au royaume des livres ? La question se pose bien évidemment pour Jean Raspail, dont l’œuvre et les engagements ont marqué toute une génération et même certainement plusieurs, à présent. Un ouvrage d’Aristide Leucate, Dans les yeux du roi…et autres chemins parallèles de Patagonie et d’ailleurs nous apporte un début de réponse plutôt rassurant.

Les carrières littéraires restent soumises à des aléas, mais le Goncourt ou l’entrée à l’Académie française sont de puissants marqueurs, bien que certains goncourisés et d’anciens académiciens n’aient pas même laissé un titre de livre, voire leur nom, dans les mémoires. Jean Raspail aurait dû être élu à l’Académie française en 2000. Il avait recueilli onze voix, mais il lui en avait manqué quatre pour pouvoir occuper le siège de Jean Guitton. La déception avait été terrible chez ses amis.

Son principal adversaire était Max Gallo, ancien militant communiste rallié au PS, romancier de la Côte d’Azur, invité permanent à la télévision, qui ne fut pas non plus élu cette fois-là, mais quelques années plus tard. Max Gallo avait des tirages considérables, à l’époque. Pourtant qui lit encore La Baie des anges, son best-seller ? Qui étudie l’œuvre de Max Gallo ? Existe-t-il des essais sur son œuvre ? Réédite-t-on du Max Gallo ? Les bouquinistes sont-ils visités par des lecteurs à la recherche du « Max Gallo qui me manque » ? Certes une avenue de Nice porte désormais son nom. Mais il est à craindre que seule cette avenue lui survive

Ainsi aussi l’académicien Marcel Prévost (élu en 1906), dont les ventes étaient colossales de son vivant n’a-t-il jamais eu aucun de ses livres réédité, il n’a eu droit à aucun essai,à aucune biographie, rien, à partir de sa mort (1941) ! C’est la grande injustice de la mémoire des hommes.

Malgré ou à cause du succès du Camp des saints

L’injustice, Jean Raspail en fut victime, lui aussi. A partir de la publication du Camp des saints (1973), et malgré ou à cause du succès de ce roman, sa carrière littéraire en fut affectée. Néanmoins, depuis sa disparition, en 2020, il y a eu de nombreuses publications sur son œuvre, des rééditions de beaucoup de ses livres, des bandes dessinées, et même un méthanier qui porte son nom. C’est presque aussi bien qu’une avenue, et cela correspond bien davantage à la personnalité de notre écrivain. Une avenue, ça fait bourgeois, un méthabier, ça fait aventureux

L’ouvrage qui vient de paraître, a été réalisé par Aristide Leucate, essayiste déjà réputé. C’est un ouvrage certes collectif, mais dont il a assumé le principal, même si Alain Sanders, Marie de Dieuleveult et quelques autres ont apporté leur pierre. L’idée était de contribuer à poursuivre « le jeu du roi ». Au fond, nous dit Maie de Dieuleveult, il faut « fuir la multitude pour échapper à la condition misérable de l’homme et pour répondre à un appel à la transcendance ». Ce « jeu du roi » (qui fut le titre d’un des premiers romans de Raspail, paru en 1976, où la figure d’Antoine de Tounens commence à émerger) ne fut pas qu’un jeu, il fut une recette, un outil pour survivre à l’affaissement du monde occidental, face à l’expansionnisme communiste de l’époque, et à la catastrophe humaine que fut et que reste la décolonisation, le recul de l’Occident chrétien.

Et cette publication, que nous propose aujourd’hui Leucate constitue donc une sorte de mode d’emploi, une règle du jeu du roi. Lançons les dés, une nouvelle fois, comme si la mort ne nous avait pas enlevé Raspail, et repartons vers cette Patagonie fantasmée, vers son roi et ceux qui entendent se dévouer à sa cause. Dans son article sur la place du scoutisme dans l’œuvre de Raspail, l’abbé Guilhem Le Coq cite mère Theresa : « La vie est une aventure, ose-là. La vie est un jeu, joue-le. La vie est un rêve, fais-en une réalité ». On pourrait croire qu’elle lisait du Raspail !

Agathon

Dans les yeux du roi…et autres chemins parallèles de Patagonie et d’ailleurs, ouvrage collectif coordonné par Aristide Leucate, préface de F/Bergeron, Atelier Fol’Fer, 188 p., 25€

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