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Pont de Kertch et démographie

Après l’annexion par la Russie de la Crimée, en 2014, réplique au coup d’État pro-occidental dit de Maïdan à Kiev, la Russie a entrepris de construire, seule et sans délai, le très onéreux pont de Crimée, long de 18 km et franchissant le détroit de Kertch. En quoi ce vieux et gigantesque projet (déjà voulu par Hitler, puis en collaboration avec l’Ukraine – Wikipédia), avec autoroute et voie ferrée, justifiait-il une réalisation aussi rapide ?

Une explication matérialiste nous conduit à une hypothèse que conforte un autre élément tout autant matérialiste, que nous verrons plus loin, allant contre le discours hystérique du conformisme belliciste occidental qui se répand par psittacisme.

Le dessein supposé de conquêtes en Europe par la Russie, envisagé comme une répétition tout aussi fantasmée d’un 1938 revisité, est une farce – même si le danger d’enchaînements tragiques n’est pas à exclure, compte tenu de l’excitation passionnelle collective entretenue par les Occidentaux. Une maladresse inopinée peut toujours constituer un casus belli fortuit.

Si, au-delà de l’annexion de la péninsule qui commande le détroit ouvrant la mer d’Azov sur la mer Noire, le président Poutine avait prémédité une prochaine guerre d’invasion pour s’emparer de tout le rivage ouest de la mer d’Azov, probablement n’aurait-il pas été si pressé d’obérer lourdement les finances de son pays pour bâtir un ouvrage aussi gigantesque, la question de la continuité territoriale entre la Crimée et la Russie ne se posant alors plus.

Nécessité de régler politiquement le différent russo-ukrainien

J’ai déjà dit la faveur de principe que j’ai pour les accords de Munich de 1938, sottement décriési par les tranche-montagne politico-médiatiques. Cette guerre d’Ukraine devrait cesser par des négociations commençant par un cesser le feu sur les positions en l’état.

Pourquoi continuer à semer la mort et la désolation au cœur de l’Europe, sachant que la Russie n’abandonnera jamais la Crimée et que, par ailleurs, la perte d’Odessa serait pour l’Ukraine une immense catastrophe, puisqu’elle n’aurait plus d’accès à la mer ? Le reste ne nous regarde guère, nonobstant la sympathie que suscitent les agressés, si ce n’est pour offrir nos bons offices. On ne fait pas une guerre pour une question de morale, ou alors il faudrait la déclarer, au nom des droits de l’homme, à une myriade de pays, dont la Chine…

Le président Macron déraisonne quand il dit que cette guerre est « existentielle » pour la France ; il n’est pas vrai non plus que c’est « la sécurité des Français qui se joue en Ukraine » comme il a osé le dire : ne se joue-t-elle pas plutôt en Seine-Saint-Denis? Aussi est-ce Chevènement qui a raison en rappelant que les Français ont élu Macron et non pas Zelenskyii ; mais aussi Emmanuel Macron avait-il raison naguère, « en même temps », quand il proposait une saine approche diplomatique « pour ne pas humilier la Russie ».

Qu’on n’aille pas supposer de ma part quelque sympathie ou complaisance envers le président russe. M. Poutine montre par ses actes et attitudes que, si la superstructure de l’ex-URSS s’est bel et bien effondrée, il n’en va malheureusement pas de même de son infrastructure. Ce que l’on appelait du temps de l’Union soviétique la Nomenklatura semble bien être restée au pouvoir, avec sa corruption, ses méthodes et références bolcheviques. Symptomatiquement, la momie de Lénine trône toujours dans son lourd mausolée de la place Rouge et l’ancienne Kœnigsberg (la ville de Kant !), annexée en 1945, porte toujours le nom de Kaliningrad, en hommage à Kalinine, fripouille stalinienne impliquée dans l’ignoble massacre des officiers polonais à Katyn. Cette infrastructure (KGB / FSB) l’a finalement emporté, contre le discours et l’exemple de Soljenitsyne, comme l’atteste le martyr infligé à Alexis Navalny.

Souhaitons aux Russes que Soljenitsyne réapparaisse un jour comme un prophète, celui d’un empire enfin débarrassé des scories du communisme.

Absence du ressort d’une guerre de conquête

Comme les pays occidentaux, la Russie, malgré ses efforts, peine à enrayer la déflation démographique. Aussi peut-on esquisser une deuxième explication matérialiste qui nous éloigne encore de la guerre : les guerres de conquête sont historiquement le fait de peuples à forte dynamique démographique, pas de peuples fatigués et vieillissants que nous sommes, nous autres européens, Russes compris.

En deux ans, nous avons bien vu que l’armée russe, réputée la deuxième armée conventionnelle du monde, est à la peine en Ukraine et qu’elle a manifestement du mal à recruter, aussi l’imaginons-nous pas s’attaquer à d’autres pays, après avoir ressuscité l’OTAN par ses combats exténuants contre l’Ukraine. Qui plus est, la Russie a attendu les sanctions occidentales et ses premiers déboires sur le champ de bataille pour improviser une économie de guerre, aujourd’hui efficace semble-t-il.

Voilà qui devrait nous rassurer, sauf que…. Sauf que, notamment de notre côté, il faut se méfier des surenchères et pauses martiales de dirigeants irresponsables, lesquels ne savent pas forcément qu’il ne s’agit pas d’un jeu de rôle. Encore une fois, nous ne sommes pas en 1938, même si les Russes prétendent « dénazifier »l’Ukraine et les Ukrainiens chasser les « fascistes » russes !

Gare aux vaticinations autoréalisatrices au regard d’une guerre tout-à-fait évitable. Pour un retour à la paix, sans renoncer à nos intérêts vitaux, ayons le courage d’être… « munichois ».

Éric Delcroix

iLettre de Polémia, mise en ligne du 7 décembre 2023.

iiVoyez son entretien avec les journalistes du Figaro, du 1er mars, page 16.

Un commentaire

  1. Enfin, un article plein de bon sens et donc rafraîchissant sur la crise russo-ukrainienne, après le tsunami d’outrances répandues par les anti-Poutine et les poutinolâtres, qui se déchirent, y compris dans notre camp où l’on devrait avoir mieux à faire !
    “La mémoire est la citadelle de l’esprit”, aurait dit Napoléon, et Me Delcroix , qui a de la mémoire, remet les choses à l’endroit. J’ai particulièrement apprécié son allusion à Koenigsberg/Kaliningrad. Comment l’Europe et particulièrement la Pologne du très atlantiste et très belliciste Donald Tusk peuvent-ils tolérer la persistzance de cette verrue soviétique sur la côte baltique ?

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