Liban

L’Union européenne veut se payer le Liban

Alors que l’Union européenne, qui fait face à une hausse exponentielle des demandes d’asile, a récemment passé des accords avec la Tunisie, la Mauritanie et l’Égypte pour tenter de réduire le nombre d’arrivées à ses frontières, Ursula Von der Leyen a mis à profit sa visite à Beyrouth la semaine dernière pour promettre un milliard d’euros au Liban pour « soutenir les forces armées libanaises en leur assurant les équipements et la formation nécessaires pour le contrôle des frontières et contribuer à la stabilité socio-économique du Liban », tout en appelant -quelle ironie !- ce pays en crise à coopérer dans la lutte contre l’immigration clandestine.

Les fonds européens seront « disponibles à partir de cette année jusqu’en 2027 » a déclaré la présidente de la commission européenne à Beyrouth, le jeudi 2 mai. En clair, ce milliard ne vaut rien d’autre que les 30 deniers de Judas Iscariote, en l’occurrence le premier ministre sortant Najib Mikati, multi milliardaire répugnant s’il en est qui espère sans doute se gaver avec ses comparses de tous bords avec cette manne tombée du Ciel ou plutôt des poches des contribuables européens. Le deal de la trahison consisterait donc à empêcher à tout prix les clandestins syriens qui ont envahi le Liban par vagues successives depuis 2011 et s’y trouvent aujourd’hui au nombre de 2 millions pour 4,5 millions de libanais, de débarquer sur les côtes des pays membres de l’UE. En d’autres termes, le Liban devrait se faire à la présence à durée indéterminée de ces millions de syriens musulmans dans leur immense majorité et dont l’implantation serait un ultime coup de grâce dans la nuque de l’identité libanaise forgée sur l’équilibre confessionnel et culturel entre chrétiens et musulmans. Les milieux politiques souverainistes, à l’instar de la rue libanaise, se sont montres outragés par cette générosité soudaine de l’UE qui a été perçue comme une tentative de « soudoyer »les autorités pour que ces derniers ferment les yeux sur l’implantation forcée de deux millions de Syriens sur le ô combien fragile territoire national. D’ailleurs, le bureau du chef du gouvernement a déclaré que la campagne médiatique qui s’est déchaînée contre les « accords » intervenus avec l’UE, constitue une « offense à la diplomatie libanaise sérieuse et responsable » tandis que le Premier ministre sortant a dénoncé la poursuite des campagnes de dénigrement contre le gouvernement concernant la question de la présence syrienne. « Cette approche vise clairement à ternir la vérité à des fins populistes, à paralyser le travail du gouvernement et à le distraire avec des querelles et des arguments inutiles », a-t-il déploré lors de sa rencontre au Sérail avec l’ambassadrice de l’Union européenne, Sandra de Waele, lundi11 mai.

L’expert économique Patrick Mardini a expliqué la situation sans langue de bois dans une interview accordée à la plateforme d’information libanaise francophone Ici Beyrouth : « Au niveau libanais, il s’agit à la fois d’un motif financier et politique. Les hommes politiques essaient d’utiliser la crise des réfugiés pour deux raisons ou deux schémas politiques. Premièrement, ils essaient de soutirer de l’argent à l’Occident moyennant le maintien des réfugiés syriens dans le pays. La seconde raison est de détourner l’attention des problèmes auxquels est confronté le Liban, tels que la crise financière et économique et l’incapacité de la classe politique à assumer ses responsabilités, notamment à lancer des réformes(…) Les politiciens adoreraient avoir l’argent des réfugiés; ils voudraient en avoir autant que possible. Ils préféreraient que l’argent passe par les canaux gouvernementaux, ce qui entretiendrait la corruption au Liban. Ce qui nous préoccupe réellement, c’est que l’UE le saurait, mais continuerait quand même à leur donner de l’argent pour acheter leur silence. La pire chose qui pourrait arriver dans ce cas serait la promotion de la corruption », conclut-il.

Pour Fadi Karam, député des Forces libanaises, «la souveraineté libanaise ne s’achète pas, ni ne se vend  et le sujet sera débattu mercredi au Parlement lors d’une session parlementaire qui s’inscrit dans le cadre du rôle de surveillance par le Parlement de l’action de l’Exécutif ». M. Karam a alors exhorté les autres groupes souverainistes « à adopter une approche unifiée concernant les aides internationales pour alléger le fardeau de la crise des déplacés syriens, sans qu’elles ne soient conditionnées au maintien des citoyens syriens présents illégalement sur le territoire libanais ». « Si nous sommes unis pour défendre notre souveraineté et nos lois et pour protéger notre existence, personne ne pourra faire pression sur nous », a-t-il plaidé.

Il ne reste plus aux libanais qu’à espérer que leurs représentants légaux soient pour une fois conscients que leur désunion et leur incurie récurrentes pourraient bien enterrer définitivement le pays du Cèdre.

Sophie Akl-Chedid

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