Berck

Des lieux où souffle l’esprit : un welsh à Berck… Quel délice !

Souviens-toi, ça parle de la Picardie, des roses et d’une très longue plage qu’on trouve là-bas… comme dans Roses of Picardy… Chanson de guerre et d’amour composée par Haydn Wood, écrite par Frédéric Weatherly, enregistrée à Londres en 1916, traduite en français par Pierre d’Amor. Elle figure parmi les airs les plus populaires franco-britanniques de la première guerre mondiale selon l’éclairage de Camille Galic, ma préfacière préférée (La France qu’on aime. Atelier Fol’Fer. 2023).

Les descendants des Angles sont si friands de cette fleur qu’ils en font volontiers des gelées et que quand ils trouvent à se combattre dans une belligérance civile, une querelle de succession sanglante, ils appellent ça la “Guerre des deux roses” (1455-1485). A cette époque, le Calaisis ou the Pale of Calais tout proche était annexé à la perfide Albion, jusqu’au 6 janvier 1558, jour où le duc de Guise (vive le duc de Guise, ma mère ! comme on chante à l’A.F.), lieutenant général du royaume des lys s’empare du port. Deux cents ans d’occupation c’est long, la guerre, ça laisse des traces, forcément culinaires. Par exemple mon grand-père (ce soir pépé est revenu, salut en passant au Docteur Merlin), chasseur à cheval, qui avait été fait prisonnier par les Allemands, ne jurait à l’heure du souper que d’un simple potage de kartoffeln bonifié de brisures de jambon ou de wurst, recette qu’il avait rapporté de sa captivité outre-Rhin. Jean-Marie Le Pen a été condamné au tribunal, pour avoir dit que l’occupation allemande, en France, n’avait pas été particulièrement inhumaine. Quitte à avoir un procès au cul, je proclame, je témoigne que mon pépé Raymond Devaux, selon ses dires, a été bien traité par ceux qu’il appelait néanmoins les “Chleuhs“, terme berbère souvenir des campagnes militaires…  nord-africaines !

Est-ce que le welsh, cette recette emblématique de la côte d’Opale, provient du temps de la guerre de Cent ans ? Comme disait Brigneau… Va savoir Grégoire ! Toujours est-il que son origine est galloise, comme la garnison en poste à Baincthun, près de Boulogne-sur-Mer en 1544. Les soldats godons (littéralement “damnés de dieu”, God dam en anglais, qui rappelle le Got for tami noromol alsacien) et notamment les fameux archers gallois si dangereux pour notre chevalerie ont certainement exporté leur recette. Et elle a fait florès !

Il s’agit à l’origine d’un cache-misère à base de tranches de pain rassis (on ne jetait rien naguère, surtout pas le pain, fût-il sec, c’est péché). Il se pratique en Suisse, pays jadis rustique très pauvre, sauf de bravoure militaire et donc de mercenaires (d’où la Garde Suisse vaticane), d’innombrables recettes se rapprochant : Tranches forestières de l’Entlebuch, croûtons de l’Appenzell, et même Malakoff, beignet vaudois qui fut ramené à l’issue de la déjà guerre de Crimée. A ceci près qu’en Helvétie on mouille au vin blanc, au cidre, voire au lait mais qu’on utilise de la bière pour ce plat canaille, nordiste, picard.

Réveillez-vous Picards, Picards et Bourguignons, il est bien temps car le welsh est plus long à préparer qu’on ne le laisserait supposer. Pierre Gaxotte disait que la cuisine n’était pas un mauvais observatoire pour regarder la Grande Histoire. Berck est situé à quelques kilomètres de Crécy-en-Ponthieu, où s’opposèrent les rois Philippe VI de Valois et Edouard III Plantagenêt. Le Docteur Merlin, encore lui, en a fait une chanson intitulée “Le guerrier et le roi”. Le souvenir de toutes les guerres de jadis est prégnant sur cette attachante terre sableuse et sans limites cette grève ! Douze kilomètres, c’est long à pied, je le jure (ma doué, après il faut s’en revenir !). C’est plus que celle de Mimizan en Guyenne-Gascogne (dix kilomètres) où celle de La Baule (Bretagne) qui s’étend sur neuf kilomètres seulement. Chacun voit midi à sa porte, il se trouvera bien un natif de quelque part pour prétendre qu’il en possède une plus grande encore et qu’un doctorant en géographie nous expliquera qu’il faut d’abord s’entendre sur le concept de “plage”. Vaines querelles d’Anglo-Saxons ! Si le fascisme est immense et rouge, selon Brasillach, la plage de Berck-sur-Mer est démesurée et l’eau bleu-vert profond en saison automnale. La plage… c’est si bon, c’est si beau, c’est si loin, c’est si près. A Berck, le sable est extrêmement fin, gris, dense comme du plomb. Rien à voir avec la poudre lumineuse de la plage de Sète, brûlante et chantée par Brassens ou celle de Frontignan pleine de brisures de coquillages coupants. Le sable est lourd, comme il est lourd, et doux ce sable, comme le talc, strié comme de la moire qui s’écoule entre mes doigts, ce n’est pas une image en somme, je sens le fluide qui trahit ma paume et s’échappe comme la vie, doucement, petit à petit… Sur la grève, des enfants et des grands pratiquent le cerf-volant avec plus ou moins de bonheur, encore un instant (clin d’œil à mon amie Anne Brassié et à l’ami Robert). Des aventureux, assez rares se baignent par une eau titrant 14°C. Dans la cité balnéaire, il y a une église surprenante d’aspect, toute hachurée de briques rouges et blanches, dont la porte d’entrée est surmontée par une grande rune de vie, c’est Notre dame des Briques (mais non voyons ! des Sables). Il y a aussi un casino établi dans une ancienne gare (en briques) et un très austère hôpital monumental, composé de deux ailes (en briques) autour de son église (de briques), protégé par une enceinte sévère (en briques), une porte aimable comme celle de la prison de Bonne Nouvelle (à Rouen où furent internés quelques prisonniers politiques OAS pour “faits de guerre” d’Algérie), qui donne sur la mer et la baie d’Authie où l’on peut voir s’ébrouer des phoques. Ces phocidés, phoques gris et veaux marins moustachus comme les chats peuvent l’être, aux grands yeux sans paupières et qui ressemblent sur le sable à des concombres marins… Vers dix-huit heures, bien des gens vont les apercevoir avec leurs appareils photographiques. On m’aborde ! Vous en avez-vu un ? Oui, il y en a trois regardez, il replonge. Oh maizou ? Et celui-là ? Il replonge, il ressort plus loin, il ressort plus du tout. On focalise sur une forme, ça ressemble, ça bouge pas beaucoup quand même, si ça se trouve on prend en photo un morceau de bois (en brique). On se lasse, on s’en retourne pour déguster, face à la mer, des fricadelles composées de bric et de broc, une saucisse-frites berckoise et une bière (en broc) face au soleil couchant. Dans l’après-midi, les trottoirs de Berck sont fortement saturés de gens en chaises à porteur, d’autres se mouvant en fauteuils roulants manuels ou électriques, à tel point que j’ai cru, qu’il se tenait ici une sorte de festival international des bancalots et des stropiats. Soirée chaise roulante musicale ou course de déambulateurs sur le front de mer encombré. En fait, l’hôpital martial prend en charge les patients en rééducation neurologique, les personnes âgées ou en état végétatif, les gros, les joufflus, les obèses, à qui l’on se doit d’interdire la consommation de ce fameux welsh qui doit dépasser, accompagné de bière, de mahonnaise (nous y reviendrons) et de frites, les 2200 Kcal. Soit l’équivalent des besoins caloriques journalier pour un homme en un seul repas. Il n’est donc pas nécessaire de le coiffer d’un oeuf au plat (welsh complet), n’en déplaise à l’ami Francis Bergeron qui aime grignoter les croque-madame pareillement chapeautés ou à Chard, cette gourmande qu’il vaut mieux avoir en dessins qu’en pension !

Recette du welsh le plus historique, authentique, identitaire possible : déposer des tranches de pain rassis dans des coquelles individuelles pouvant passer au four, arroser de bière. Verser dans un caquelon 25 cl de bière. Râper 200 g de chester gallois (idéalement) ou du véritable cheddar IGP de 12 ans d’âge. Ce fromage n’est pas orangé et mou mais ocre, dur et friable. Il est commercialisé, à un prix tout à fait honnête, dans les supermarchés Leclerc et Intermarché sous le label “British Heritage”. Faire fondre le fromage dans la bière à feu fort tout en mélangeant, saler, poivrer au moulin. Ajouter autant de moutarde qu’il vous plaira à cet appareil. On peut utiliser de la moutarde de Meaux (avec des graines dedans) pour le visuel et pour l’aspect historique (la Champagne était aussi en 1429 sous occupation anglaise et bourguignonne). Nappez le pain de cette fondue, glissez une tranche de bon jambon un peu épaisse, nappez encore, décorez de brisures de fromton et passez au four à fond. Servez avec des frites cuites au blanc de bœuf (on en trouve dans les supermarchés susdits) et une petite salade méli-mélo, laitue, tomate, oignon nouveau.

Franck Nicolle, l’ami du Tour de France.

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