Une des principales caractéristiques du fonctionnement politique des pays à caractère multiconfessionnel dont le Liban est un exemple majeur consiste dans le principe de « couverture » des décisions du groupe dominant par des membres les plus représentatifs possible des autres composantes de la société dans un souci de « légitimation nationale » de décisions en réalité unilatérales.
Ce fut le cas avec les accords de Mar Mikhaïl, passés en 2006 entre Michel Aoun et le Hezbollah, par lesquels Aoun s’engageait à servir de couverture chrétienne à la milice chiite en échange de l’appui de cette dernière pour accéder à la présidence de la république. De la même façon, en Syrie, on peut souligner l’appui inconditionnel d’une grande majorité des responsables chrétiens au régime baasiste des Assad depuis 50 ans en échange d’une liberté de commerce élargie et de la protection de la communauté par l’État. C’est dans cette optique que les « Brigades de la Résistance » ont été créés en 1997 avec essentiellement des sunnites d’obédience « frères-musulmans » mais aussi des chrétiens et des druzes. Le Hezbollah pouvait enfin afficher des alliés au sein de la communauté sunnite qu’il pouvait en prime opposer aux sunnites d’obédience salafiste et montrer à ses détracteurs sa capacité à attirer des « résistants » en dehors de la communauté chiite. Implantée dans la plupart des grandes villes à majorité sunnite telles que Tripoli et Saida ainsi que dans la plaine de la Bekaa et dans des zones frontalières avec la Syrie et Israël, la milice sunnite pro-Hezbollah a rapidement évolué en milice privée dédiée à la protection des intérêts de ses dirigeants. Selon Ahmad el Ayoubi, un expert des mouvements islamistes au Moyen Orient, « cette organisation est très largement composée d’individus présentant un lourd passé criminel et souvent affiliés aux tribus arabes locales ». Au fil des années, les « Brigades » se sont bâties une solide réputation dans le monde du grand banditisme, du trafic d’armes en passant par celui de la drogue pour lesquels elles auraient bénéficié de la protection politique du Hezbollah et des institutions sous son contrôle.
Selon un article de l’Orient-le Jour publié en 2023, outre la guerre de 2006 au Liban Sud, elles auraient également participé aux côtés du Hezbollah à la tentative de coup d’Etat menée par ce dernier à Beyrouth en mai 2008. A partir de 2009, confronté à un nombre grandissant d’opérations de type essentiellement criminel de la part de ce groupe armé, le ministre de l’intérieur de l’époque et proche de Hariri, Nouhad Machnouk, a engagé des négociations avec le Hezbollah pour obtenir la mise au pas de la milice et l’établissement d’un modus vivendi entre les forces armées libanaises et les « Brigades de la résistance » dans des régions jusqu’ alors assujetties à cette organisation à l’exception notable de la Bekaa, épicentre du trafic de drogue contrôlé par le Hezbollah. Toujours selon l’Orient-le Jour, ce n’est qu’en 2023 que Hassan Nasrallah a décidé de restructurer ce groupe armé et d’en reprendre le contrôle en remplaçant notamment ses commandants « militaires » par des jeunes exclusivement issus de ses rangs et formés aux opérations de guérilla.
Avec l’établissement d’un « front de soutien » à Gaza au sud du Liban et l’engagement sur le terrain des « Brigades de la résistance », en réponse aux critiques de l’opposition souverainiste qui lui reproche de « monopoliser les décisions de guerre au détriment de l’Etat, d’aggraver la crise politique et économique libanaise et de faire obstacle à l’élection présidentielle en priorisant les intérêts de l’Iran, notamment la guerre à Gaza », le Hezbollah affiche à nouveau une couverture multiconfessionnelle à ses opérations contre Israël, donnant ainsi l’image d’ un consensus libanais quant à la participation du pays à la guerre par le biais du Hezb.
Naturellement, à l’instar de Soljenitsyne, « nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, nous savons qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir », entrainant toujours plus loin le Liban dans un conflit qui ne le regarde pas, comme pour compenser le retrait total de la Syrie, rigoureusement imposé par les autorités russes, sur le conflit de Gaza.
Sophie Akl-Chedid