Saint Loup

Les lectures de Madeleine Cruz : Saint-Loup et ses « patries charnelles »

Les éditions Auda Isarn rééditent le roman de Saint-Loup (pseudonyme de Marc Augier) qui était paru en 1971 : Pas de pardon pour les Bretons. Il se présentait alors sous la forme d’un fort volume (près de 600 pages) qui faisait partie d’une saga romanesque annoncée comme la grande histoire des « patries charnelles », qui célébrerait la renaissance des nationalismes régionaux, des nationalismes du sang, spécialement en France et en Europe.

C’était l’époque de L’Europe aux cent drapeaux, livre de référence écrit par le nationaliste breton Yann Fouéré. C’était les années 1970, qui vireent émerger l’œuvre d’historien de Jean Mabire, très sensible, lui aussi, à ce thème, depuis ses rencontres d’après-guerre avec les nationalistes flamands.

A l’époque de sa parution, l’amorce d’une série de romans des « patries charnelles » avait donc suscité davantage de débats (au moins à droite) que la trilogie du Front de l’Est, qui reste encore considérée, avec ses récits de montagne, et avec La nuit commence au Cap Horn, comme les chefs d’œuvre de Saint-Loup,

Il y avait plusieurs raisons à cette réticence : d’abord la théorie des « patries charnelles » était promue quelques années seulement après la perte de l’Algérie française. Cette perte, dans les circonstances tragiques que l’on sait, avait été ressentie comme une atteinte à l’unité française, puisque l’Algérie française était devenue, peu après 1830, une province française composée de plusieurs départements (leur nombre a fluctué au cours des 130 années qui ont suivi). Pour les Pieds-noirs, les Harkis et les musulmans pro-français (une centaine de milliers d’entre eux furent assassinés par le FLN lors de l’indépendance, la France gaulliste a parfaitement su le cacher, avec la complicité de l’Etat algérien et de la gauche française), la souffrance fut sans doute analogue à celle ressentie par les Alsaciens et les Mosellans après la défaite de 1870.

D’autre part, les gauchistes développaient dans la France post-soixante-huitarde, un discours d’incitation à l’indépendance des « patries charnelles » hexagonales, prenant précisément pour modèle le FLN algérien. C’est l’époque du FLB, d’une branche française de l’ETA, et des premières tentatives de sécession du côté de la Corse et des territoires d’Outre-mer.

La sauce ne prit donc pas vraiment et Saint-Loup limita l’histoire des « patries charnelles » à la Bretagne, au pays cathare, à la Savoie, mais l’irrédentisme germanique, italien, ou flamand par exemple, ne fut guère évoqué sous la plume de Saint-Loup.

Enfin la globalisation, la mondialisation, la dépossession culturelle l’accompagnant, commençaient à devenir perceptibles, et le nationalisme français semblait mieux à même d’y résister qu’un émiettement de la nation en une série de « patries charnelles ».

« Un des meilleurs livres de Saint-Loup » (Jean Mabire)

Nonobstant ces considérations politiques, nonobstant le mélange de réalisme et de légendes celtiques du roman, nonobstant son caractère foisonnant, Plus de pardon pour les Bretons est un excellent récit qui méritait vraiment d’être réédité. Il fait incontestablement partie de la meilleure part des œuvres de Saint-Loup. L’éditeur Auda Isarn a donc raison de le mettre à la disposition des nouvelles générations de lecteurs. De l’Irlande au pays bigouden, de Brest à Nantes, on croise nombre de personnages (les Mordrel, Debauvais, Lainé et bien d’autres) qui eurent leur heure de gloire avant-guerre, à l’époque du « gwen ha du (le drapeau blanc et noir de la Bretagne), de la « Bezen Perrot » (du nom de ce prêtre assassiné par des communistes le 12 décembre 1943), du « Breizh atao », et du « Sinn-fein ».

Saint-Loup est formidable dans son taklent à faire revivre une époque, des engagements politiques, des affrontements militaires, en mêlant d’authentiques acteurs de ces moments, et des héros nés de son imagination, quoiqu’ait pu en dire Mabire lors de la première parution de ce roman). Plus tard Mabire, relisant ce roman, avait d’ailleurs changé d’avis et le saluait cette fois, sans restriction, en ces termes : « un des meilleurs livres de Saint-Loup … Quand un romancier se veut historien et propagandiste ». C’est un agréable roman, et une plongée historique passionnante, on peut donc bien le lire deux fois, comme le fit Mabire, sous deux angles différents.

Madeleine Cruz

Plus de pardons pour les Bretons, par Saint-Loup, Ed. Auda Isarn, 2024, 24€.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *