Mabuse

Les films et les lectures de Madeleine Cruz : Dr Mabuse, c’est le cinéma de Fritz Lang, et c’est aussi un livre

Le 28e polar de la collection du Lys Noir (un jour on parlera du « LN » comme on parle aujourd’hui de la « NRF », je vous le prédis !) est une réédition, celle d’un livre signé Norbert Jacques, paru en langue allemande il y a plus d’un demi-siècle sous le titre : Dr Mabuse der spieler. « Der spieler » signifie « Le joueur », en allemand. Norbert Jacques était un Luxembourgeois qui, à ce titre, était sans doute bilingue français allemand. Mais les aventures de son « héros », le médecin criminel Mabuse, se passent essentiellement en Allemagne, l’Allemagne des années 1920.

Un mystérieux individu aux multiples déguisements, hante les casinos et fait systématiquement sauter la banque, en s’emparant des cerveaux des autres joueurs. Ce Mabuse est en effet un médecin psychanalyste qui a trouvé le moyen d’hypnotiser ses interlocuteurs ou ses adversaires, de les soumettre à sa volonté. Le roman nous raconte l’affrontement entre ce monstre et « Le Procureur général Wenk », une sorte de super-détective ayant toute latitude pour contrer Mabuse. Tâche difficile car Mabuse se dissimule derrière de nombreux pseudonymes. Son ambition : devenir le maître absolu de son pays.

Fritz Lang en a tiré trois films, beaucoup plus connus que les romans « mabusiens » eux-mêmes. Le premier film fut tourné en 1922, et il s’agit bien évidemment d’un film muet. En 1933 le cinéaste tourne une suite, Le testament du Dr Mabuse, et en 1960, à la fin de sa carrière (il meurt en 1976) Le diabolique Dr Mabuse.

Mabuse est un personnage négatif, pervers, un peu comme le « Fantômas » de Souvestre et Allain, très éloigné au fond des traditionnels héros-voleurs anarchisants du type « Pieds Nickelés » ou « Arsène Lupin ». J’avoue avoir déjà du mal à apprécier ces personnages mi-justiciers mi-bandits. Alors Mabuse, je ne vous dis pas !

Les films « Mabuse » de Fritz Lang sont mythiques sans doute parce que Lang surgit très tôt dans l’univers cinématographique avec cette série. Mais le côté feuilleton à rebondissements tirés par les cheveux est un peu lassant, revu (ou relu) par le public d’aujourd’hui.

Imiter les orateurs nazis ?

Ce qui fait aussi la notoriété de ce Dr Mabuse, c’est sans doute le travail de certains historiens du cinéma et autres exégètes qui ont conclu de ce mince scénario à rebondissements plus ou moins gores, qu’il y avait là une prescience de ce qui allait arriver à l’Allemagne. Claude Jean-Philippe, dans Le roman du cinéma (Fayard 1984) soutient par exemple que Lang pousse l’acteur à « imiter de toute évidence les orateurs nazis. Il a le visage possédé par une terrible exaltation ». C’est bien gentil, cette exégèse, mais dans la mesure où le livre est paru en 1921 et où le premier film de la série a donc été tourné en 1922, on a du mal à croire que Norbert Jacques et Fritz Lang aient eu à l’époque une telle prescience. Qui connaissait en effet Hitler, dans ces années-là, au-delà d’un très étroit cercle d’activistes ? Laissons aux cinéphiles le soin de commenter savamment l’œuvre de Fritz Lang (généralement qualifiée d’« expressionniste »).

Pour ce qui est du roman, ce Dr Mabuse de 300 pages publié par Auda Isarn, il enchantera sans doute nos cinéphiles (je sais qu’ils sont très nombreux), car ce roman n’est plus dans le commerce depuis longtemps, me semble-t-il. Mais l’amateur contemporains de polars risque de rester un peu sur sa soif, car le genre a beaucoup évolué : de Gaston Leroux à Agatha Christie, puis d’Agatha Christie à Simenon ou à Simonin, et de Simonin à Randa, Guittaut ou Bouclier, et ce n’est sans doute pas fini.

L’avantage, au « Lys noir », c’est donc que chacun peut trouver chaussure à son pied. En tout cas, cette collection ne craint pas la diversité, du moins la bonne diversité… Suivez mon regard…

Madeleine Cruz

Dr Mabuse, par Norbert Jacques, Ed. Auda Usarn, 302 p., septembre 2024.

Un commentaire

  1. Je suis comme madeleine cruz j’ai toujours eu beaucoup de mal à entendre que le film de Lang de 1922 était une préfiguration du nazisme. Il s’agit à l’évidence d’une construction intellectuelle a posteriori. Le livre est de 1921, le film de 1922. Hitler à cette époque était un discoureur de brasseries connu que d’une poignée de personnes. Il y avait alors des dizaines de volkichs comme hitler qui fustigeaient le traité de Versailles et tenaient des propos antisémites. Hitler ne deviendra connu qu’en fin d’année 1923 lors du putsch dit de la brasserie à Munich, et surtout en 1924 lors de son procès qui dû un retentissement international. Mais des 1925 et jusqu’en 1930 hitler redevint un personnage marginal. Mais il était sans doute existant pour un certain nombre de personnes de voir hitler partout.

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