Quelle bonne idée d’avoir réédité La passion du ciel ! Il s’agit des souvenirs de l’aviatrice Madeleine Charnaux, un ouvrage paru chez Hachette en 1942. L’édition originale n’est pas si facile à trouver car elle avait été publiée au milieu de la Seconde guerre mondiale, dans la France occupée. On imagine les difficultés du moment pour en assurer sa diffusion. Mais surtout son auteur décèdera à peine deux ans plus tard, à 41 ans, victime non pas d’un accident aérien mais de la tuberculose.
Pour quoi s’intéresser plus spécialement à elle, alors que l’histoire de l’aviation a été marquée par plusieurs autres jeunes héroïnes ? On pense par exemple à Maryse Bastié ou à Hélène Boucher.
J’ai plusieurs bonnes raisons pour cela. La première, c’est peut-être tout simplement parce que nous avons le même prénom. Je me sens (certes, abusivement) un peu concernée par son destin.
La seconde, c’est que Madeleine Charnaux, très connue entre les deux guerres, comme aviatrice, mais aussi comme artiste (elle sculptait, dessinait, et a même publié un roman policier réédité en 2017 dans l’épatante collection du Lys noir) est un peu trop systématiquement oubliée dans les ouvrages sur l’histoire de l’aviation. Cet « oubli » est sans doute lié à sa proximité avec Jean Fontenoy, le héros du front de l’Est, qu’elle épousa d’ailleurs en 1938. J’ai le souvenir qu’Anne Le Pape s’en indignait dans un article de Présent (27 septembre 2019) à propos de la parution d’un livre sur les héros de la conquête du ciel.
La troisième raison, ce sont précisément ses liens avec Fontenoy. Voilà un couple qui s’était bien trouvé, car l’un comme l’autres mirent leur peau au bout de leurs passions. Madeleine était une très jolie femme. Elle servit de modèle à Antoine Bourdelle, dont elle fut l’élève.
Les opprobres ne sont en principe pas transmissibles entre époux
Fontenoy, lui, était un singulier personnage, comme l’a raconté Philippe Vilgier dans une biographie publiée en 2012. Admiré quand il travaillait pour l’agence Havas, ou quand il se battait dans les troupes finlandaises contre les envahisseurs communistes, Fontenoy porte au-delà de sa mort, le péché d’avoir côtoyé Drieu La Rochelle, et surtout, bien évidemment, d’avoir combattu sur le front de l’Est.
En principe les opprobres de ce type ne sont pas transmissibles entre époux. Mais il faut croire que si. Pour ceux qui refusent systématiquement de la citer, le fait qu’elle soit décédée, elle, d’une longue maladie et pas sous les balles staliniennes, le fait que sa mort, pendant la guerre, certes, soit bien antérieure à celle de son mari, ne comptent pour rien. Il vaut mieux, semble-t-il, éviter de la citer, plutôt que de se voir reprocher de ne pas avoir mis en garde sur le fait qu’elle était la femme d’un futur « collabo ».
Moi je préfère me rappeler qu’elle fut décorée de la Légion d’honneur par Maryse Bastié, et que Mermoz, le grand Mermoz, la tenait en très haute estime, Mermoz dont le buste orne ma cheminée, ce qui me permet de passer régulièrement la main dans sa belle chevelure, que le vent rejette en arrière .
Madeleine Cruz
La passion du ciel, par Madeleine Charnaux, Francephi diffusion. 2024,