Aoun

Le défi du tandem Joseph Aoun- Nawaf Salam

« Il y aura un avant et un après 26 janvier », menaçait récemment Naïm Kassem, secrétaire général du Hezbollah, en évoquant la date butoir prévue pour le retrait complet des troupes israéliennes du Liban Sud, un retrait conditionné, dans l’accord de cesser le feu du 27 novembre à celui du Hezbollah au nord du Litani, à la reddition de ses armes et infrastructures militaires à l’armée libanaise et au déploiement de celle-ci sur la totalité du sud Liban.

Deux mois plus tard, il n’en est toujours rien, le Hezbollah finasse et a cru bon de recourir le 26 janvier à la seule arme qu’il maitrise parfaitement, se cacher derrière des civils poussés par la milice à rentrer dans leurs villages toujours sous contrôle israélien afin de créer des incidents et de décrédibiliser l’armée libanaise « incapable de protéger les gens du sud » selon la dialectique chère au parti. Simultanément, des convois de centaines de jeunes à mobylette paradaient dans les quartiers chrétiens de la capitale en hurlant «  Shiia Shiia ! » (chiites, chiites), proclamant une victoire divine et brandissant armes et drapeaux jaunes et noirs de la milice. Or, éructer des slogans creux et crier « victoire » ne changera rien à la réalité, n’en déplaise au Hezbollah qui a commis une erreur existentielle en déclarant sa guerre de « soutien » à Gaza le 8 octobre 2023. Non seulement l’enclave palestinienne n’a pas été libérée, mais une grande partie du Liban-Sud a été rasée et la bande frontalière est de nouveau occupée 24 ans après le retrait unilatéral israélien en mai 2000, les réseaux d’approvisionnement du Hezb en dollars et en armes réduits en cendres. Il ne reste au Hezbollah que ces mises en scène adressées à ce qui reste de son fan-club : « Nous nous inclinons devant la grandeur du peuple de la résistance et assurons que l’équation « armée, peuple, résistance » qui protège le Liban n’est pas lettre morte » a publié le parti dans un communiqué le 26 janvier, en contradiction totale avec l’Accord qu’il a lui-même supplié d’obtenir. « Notre peuple a réussi à faire échec aux équations que l’ennemi cherche à imposer » se félicitait dans la matinée Ali Fayad, député du Hezbollah qui a oublié un peu vite qu’à l’instar de tous ses confrères hezbollahis sans exception, il a passé les 3 mois de l’offensive générale terrestre et aérienne israélienne caché avec femmes et enfants au Parlement transformé en hôtel pendant que le sud était haché menu sous le feu des drones et F35…

Ainsi, après avoir détruit le pays, sa souveraineté, son économie, son infrastructure, poussé la jeunesse libanaise chrétienne comme musulmane à un exode massif, après l’avoir livré au narcotrafic assadien, le Hezbollah tente de se cramponner à ses acquis de mafia politique en esquivant par tous les moyens l’application de l’Accord de cesser le feu et en brandissant la menace d’une déstabilisation, voire d’un conflit interne. Selon Riad Kahwaji, directeur de l’Institut d’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (Inegma), le Hezbollah chercherait aujourd’hui à préserver ce qui reste de ses capacités militaires, « dans l’attente de changements régionaux qui lui permettraient de les renflouer grâce à des fonds en provenance de l’Iran ». Pour y parvenir, le Hezbollah cherche aujourd’hui à s’imposer au sein du nouveau Cabinet à travers lequel il œuvrerait pour essayer de protéger ses armes, estime-t-il. Et on peut ajouter sans crainte de se tromper à se protéger des actions en Justice qui ne sauraient tarder à pleuvoir sur lui, depuis les familles des victimes de l’explosion du Port de Beyrouth, aux innombrables cas d’assassinats de personnalités publiques, d’officiers, journalistes, civils…

Pour ce faire et dans l’esprit d’un Hezbollah qui a toujours considéré le Liban comme une simple province iranienne, le but de cette mascarade est bien évidemment d’exercer une pression maximale sur le nouveau Premier ministre désigné Nawaf Salam, avant même sa prise de pouvoir effective, afin d’obtenir un certain nombre de portefeuilles régaliens dont le sacro-saint ministère des finances, ce qui reviendrait, de par ses prérogatives, à remettre une nouvelle fois les clefs du Liban aux Mollahs de Téhéran : le ministère des Finances détient un pouvoir central sur la gestion des finances publiques, la préparation du budget annuel, les politiques fiscales, la gestion de la dette publique et les relations avec les bailleurs de fonds internationaux (comme le FMI et la Banque mondiale) mais également sur l’attribution des budgets pour les différents secteurs (santé, éducation, infrastructures, etc.) qui tous nécessitent la signature du ministre des Finances.

« Les pouvoirs du ministre des Finances sont tentaculaires et s’étendent à la préparation budget de l’État et le suivi de son exécution, aux douanes, aux registres fonciers, au contrôle du fonctionnement et des comptes de la Banque du Liban et à la nomination de ses principaux dirigeants, à son conseil central, etc. », explique le professeur Nasri Diab pour le media Ici Beyrouth. « Par ailleurs, constitutionnellement, c’est la troisième signature nécessaire à la validité de la majorité des décrets, quelle que soit leur nature, y compris ceux relatifs aux nominations judiciaires », souligne-t-il.

Le défi est de taille pour le tandem Aoun-Salam et l’immense majorité du peuple libanais scrute attentivement les moindres négociations visant à la formation du futur Cabinet, mais aussi les officines diplomatiques occidentales et celles du Golfe Persique. Pour couper court à toute velléité d’atermoiement du nouveau binôme libanais, la Maison-Blanche a d’ores et déjà fait savoir ce mercredi par un communiqué officiel que le Liban ne percevra aucune aide américaine au cas d’une nomination d’un ministre du courant Amal-Hezbollah au sein du futur Cabinet. Par la voix de l’homme d’affaire et immense philanthrope émirati Khalaf el Habtoor – une figure unanimement respectée et aimée par toutes les composantes de la population libanaise- les pays du Golfe ont également fait savoir à qui de droit que le Liban ne devra pas compter sur leurs investissements s’il cède au tandem chiite. A moins de se condamner à rester à l’Age de pierre, aux forceps ou non, l’accouchement du nouveau Liban devra avoir lieu tôt ou tard et sur les réseaux sociaux, on voit un nombre grandissant de libanais qui souhaitent ouvertement au Hezbollah une prochaine « victoire divine » similaire à celle dont il se félicite…

Sophie Akl-Chedid

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