Elles nous font rêver, les couvertures du « Lys Noir ». Celle du 30e volume de cette collection de romans policiers, n’échappe pas à la règle : elle nous présente un homme assis dans un fauteuil, au coin du feu, une pipe à la bouche, en train de lire un livre. Il est habillé cajual, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire en tenue décontractée, celle que les gentlemen ne portent que le week-end. Mais sa tenue cajual comporte néanmoins la cravate sombre et le blazer Pied de Poule, bien entendu. Les manches de sa chemise dépassent des manches de la veste des quelques centimètres réglementaires. Une jeune femme, vêtue d’une robe noire trois trous que l’on devine courte se tient derrière le fauteuil club de l’homme.
Sur le manteau de la cheminée, on distingue une maquette de L’Espadon, l’aile volante de Blake et Mortimer. Mais by Jove, nous sommes à Londres, dans l’univers de Jean Bourdier !
Jean Bourdier fut peut-être l’un des meilleurs journalistes et critiques littéraires (à Minute) de la seconde moitié du XXe siècle, qui en compta pourtant beaucoup. Et à coup sûr le plus british d’entre eux. Il n’est donc pas étonnant que son polar, Le commissaire-priseur, publié pour la première fois en 1978 dans la mythique collection du « Masque », celle qui nous fit découvrir Agatha Christie, il y a un siècle, soit réédité avec une telle couverture.
Vous allez me dire (si vous êtes un passionné de littérature policière) : « j’ai déjà entendu parler de ce roman intitulé Le commissaire-priseur, j’ai lu la très érudite Histoire du roman policier signée en effet par un certain Jean Bourdier mais je n’ai jamais vu la signature de Jean Bourdier parmi les 2000 titres et plus de la collection « Le Masque ».
C’est que, quand on s’appelle Jean Bourdier, et qu’on se sent anglais jusqu’au bout des ongles, il est sans doute difficile de porter un nom et un prénom si français (dans le midi, le bordier ou bourdier était l’habitant d’une ferme). Aussi Jean Bourdier avait-il signé son polar du pseudonyme John mcgrégor. C’est donc à la lettre « « M et pas à la lettre « B » que l’on trouve la trace de Bourdier, en 1978, dans la collection du « Masque ».
J’ai mis des années avant de pouvoir me procurer et lire ce roman dont j’avais entendu parler dans son édition originale, bien des années après sa parution. L’histoire est assez invraisemblable, Dieu soit loué ! Jugez-en : A Londres un serial killer tue toutes les personnes intéressées par le manuscrit d’une ancienne personnalité politique. Deux éditeurs rivaux mènent l’enquête.
C’est à ce résumé que l’on voit à quel point les temps ont changé. A qui checherait-on à faire croire aujourd’hui que des meurtres peuvent être commis pour un manuscrit ? De nos jours on tue des gamins de seize ans pour pour trois grammes de crack. O tempora, O mores…
François Brigneau qui me lit certainement de là-haut…
Je me fais une joie de pouvoir relire ce roman, grâce au « Lys noir », écrit dans la grande tradition des romans à énigme, qui firent à juste titre le succès des « Masques ». Mais avant cela, il fallait absolument que je reparcoure le seul livre consacré à Jean Bourdier : Jean Bourdier, un gentleman français, paru chez Dualpha en 2011. Une bouffée de terrible nostalgie m’a saisie en relisant la préface de Jean-Baptiste Chaumeil, en croisant dans les pages de ce dossier à allure de biographie polyphonique, les noms d’ADG, de Geneviève Dormann, d’Hubert Monteilhet et de tant d’autres de ces femmes et hommes de lettres dont j’ai pu croiser la route grâce à mon cher grand-oncle François Brigneau, qui me lit certainement de là-haut.
Si j’étais vous je me procurerais sans tarder Le commissaire-priseur, dans sa splendide réédition du Lys noir, et je me plongerais dans le dossier qu’avait publié Dualpha. Mais ce dernier ouvrage est-il encore disponible ? J’imagine que non. Renseignez-vous quand même.
En tout cas j’envie ceux de mes lecteurs qui n’ont pas encore lu Le commissaire-priseur et qui ne connaissent pas Jean Bourdier, dont Jean-Baptiste Chaumeil nous dit que « l’une de ses caractéristiques était d’abord l’extrême courtoisie ». So british, je vous dis !
Madeleine Cruz
Le commissaire-priseur, par Jean Bourdier, collection du « Lys Noir », volume n° 30, Ed. Auda Isarn, mars 2025, 150 p., 12 euros + port
- Jean Bourdier, un gentleman français, Documents et témoignages, Dualpha, 2011.
