Il ne s’agit pas d’un nouvel épisode de la saga du Clan des Bordesoule, encore que l’ami Francis Bergeron trouverait sur place un cadre idéal pour fomenter quelque nouveau roman destiné à la jeunesse. « La jeunesses n’est pas une période de la vie mais un état d’esprit, une intensité émotive, une qualité de l’imagination, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l’aventure sur celui du confort » comme le répétait inlassablement Jean Marie Le Pen à la suite du général MacArthur. Formule que tout élève sous-officier de la SEM 51 de l’Ecole Militaire de Haute Montagne de Chamonix devait savoir par cœur, enseignée par le sergent-chef Guillory sous le commandement du major de Palacio et du chef de corps, le colonel Aussedat.
Mais revenons à nos moutons de Morimond et aux petits agneaux, qui, dans les prés du pays de Langres se pressent les uns contre les autres en cette période post-agnelage. L’agnelage débute en mars quand les brebis mettent bas, c’est-à-dire au moment de la pousse d’herbe quand les besoins des animaux sont les plus exigeants. Le nom du département d’accueil n’invite pas d’emblée à l’excursion… bien que les « gens du voyage », les romanichels, les « cousins de Damblain » y résident par à-coup plus souvent qu’à leur tour. Il s’agit de la Haute-Marne, alias Haute-Patate… Terre située tout à l’est de cette grande province de Champagne qui s’étend, du nord au sud, des Ardennes jusqu’au plateau de Langres (excellent fromage indispensable au plateau) et qui s’acoquine alors par ses frontières à celles de Lorraine, du Comté et du Duché de Bourgogne.
Du temps que Marine et Florian vivaient en bonne intelligence, ils se retrouvaient dans ce département obsolète, à Brachay, lors d’une manifestation et d’un pique-nique à vocation et à caractère national, champêtre et populaire avec le sympathique maire du village, agriculteur patenté, haut en couleur et même, en bon campagnard, un peu rougeaud. C’était hier et c’est si loin… L’ambiance faisait penser aux BBR de naguère. Un gigantesque barbecue fumant comme une locomotive remplaçait la roulante « type Marion » du père Holeindre. Mais deux où trois jours plus tard de ce rendez-vous qui devait être le dernier; la séparation était consommée entre Le Pen et Philippot. Nonobstant, tout ce qui est national est notre !
L’abbaye de Morimond
Matériellement parlant, il ne reste pas grand chose de cette cité monastique esseulée dans l’essart gagné souche après souche par les frères; grande jadis comme le château de Fontainebleau, munie pareillement de ses dépendances, fermes, jardins d’agrément, potager, médicinal et même de vignes dont on tirait une piquette servant au vin de messe. Les moines vivaient en autarcie avec tout ce qu’il faut sur place pour subsister. Moulins, scierie, clouterie, minoterie, briqueterie, alimentés en énergie par l’eau vive des lacs artificiels créés par les moines eux-même, qui rassemblaient en leur communauté tous les corps de métiers nécessaires. Comme disait Henri Vincenot et son pape des escargots : « Dame, ce n’était pas un âge moyen que le Moyen-Âge ! ».
L’abbaye fondée en 1115/1117 fut la quatrième fille de Cîteaux. Elle demeure, malgré sa destruction complète après la Révolution, la mère de plus de deux cent trente rejetons pleins de santé, tout particulièrement en Autriche et en Pologne. Son grand renom était de même considérable en toutes les Espagnes, du temps où Raymond de Ciruelos, moine espagnol de l’ordre de Cîteaux luttait contre les Almohades.
Mourir au monde
Le nom de Morimond dérive du latin mori mundo (mourir au monde), reflétant l’état d’esprit des religieux, renonçant au monde accablant d’ici-bas, tout en faisant avec, en même temps comme dirait l’autre tanche; dans la joie, le chant, le travail, la besogne, la prière. En tant que lieu perdu on ne saurait faire mieux. Le chemin est mal indiqué depuis les villages alentour, la route est sinueuse tout autour d’une rivière appelée Le Mouzon, alimentée elle même par milles ruisseaux. Un panneau indicateur à Martigny-les-Bains en contredit un autre à Lamarche. A droite ? A gauche ? Père, gardez-vous à droite ! — Père, gardez-vous à gauche ! Nous arrivons clopin-clopant devant la chapelle sainte Ursuline (close), une stèle, des pancartes pour expliquer la gloire vaincue du monument historique. Une fois passé la porte ancienne qui n’a qu’un seul tenant et presque pas de murs, nous voici tout de bon devant ce qui reste encore de la splendeur passée, bel et bien une ruine.
Tout n’est pas perdu, la cathédrale des arbres… les lacs aux eaux tranquilles et poissonneuses miroitent les cieux comme pour satisfaire nos goûts de candeur et notre soif de tranquillité. On peut en faire le tour à pied, munis de bons godillots, et même canoter l’été. Il y a un parking devant une sorte de guinguette recommandée cent fois par le guide du Routard. Une grand-mère en sortira peut-être comme une commère pour s’inquiéter de votre présence insolite en cette saison. Tournez les talons et laissez-la causer.
Nuremberg, cette terre promise
La toile souveraine appelée aussi toile miraculeuse ou toile du curé de Certilleux doit son existence à une pommade inventée par les moines de Nuremberg transmise à ceux de Morimond. Le principe actif du médicament utilisé en pansement est le minium ou oxyde de plomb. Chassés de l’abbaye de Morimond à la Révolution, les moines révélèrent leur secret au grand-père du futur abbé Bertrand, curé de Certilleux dans les Vosges voisines. Ce dernier améliore la recette en y ajoutant de la résine du Pérou cicatrisante, qu’il étale sur une toile de coton pour en faire un baume, dont même Saint-Exupéry dit qu’il est souverain pour les traitements de peaux, de rhumatisme et autres maux. Victime de son succès, l’abbé fut convoqué devant le tribunal correctionnel de Neufchâteau en 1904 pour exercice illégal de la médecine. Acquitté, sa renommée dépassa très vite les frontières françaises ; de nombreux malades venaient chaque jour le consulter dans son presbytère. Toutefois, un énième et dernier procès en 1981 mit officiellement, sous un prétexte facile et fallacieux, un terme à sa production et à sa commercialisation.
J’ai pris soins de rencontrer quelques gens du pays, qui m’ont tous dit, de père en fils et de fil en aiguille, que le médicament était sans égal, coûtait peu, qu’il suffisait d’un morceau d’un centimètre carré pour soigner une verrue, un abcès, un morceau plus large pour venir à bout d’une courbature, d’une déchirure ou d’une infection de staphylocoque. Adorée des sportifs, préconisée par les médecins intègres mais détestée des pharmaciens et d’autant plus par Big Pharma, la toile vésicante et topique faisait merveille en toutes les maisons.
Franck Nicolle
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