J’avais dix-huit ans tout juste et quittant ma ville natale, un beau jour, ô gué, je vins débarquer dans cette cité balnéaire picarde si proche géographiquement et ethnologiquement parlant du pays où j’ai vu le jour, la Haute-Normandie, le Pays de Caux sis en Gaule belgique. Nous autres, de ce rivage, avons des atomes crochus et partageons un même accent traînard et populaire que l’on retrouve étrangement chez les désormais rares vieux Parigots patentés de Montmertre, de Montrouge, du Quatorzième, de Montparno ou de La Villette, d’un lieu l’autre, ni vraiment différent, ni tout à fait le même, comme disait Paul Verlaine.
Pour tout dire, j’espérais quand même voir un fort… Je l’imaginais à l’état de rempart bancalot, esseulé, appauvri, cagneux, bravant la Manche, le noroît et l’Anglois coué. Tout paré de tours inachevées, de donjons en loques, d’échauguettes en goguette, de poivrières salées par le vent marin, d’un chemin de garde et de guérites grignotées par le temps et les herbes de ce pays. Ces végétaux sont le chou marin, le pavot cornu, l’armérie maritime qui fait penser aux fleurs de trèfle, le lotier corniculé, aux roses jaunes râblées, qui côtoient dans les dunes la roquette de mer, ce myosotis côtier, le chiendent des sables, l’oyat et les belles de nuits qui font penser aux renoncules, aux boutons d’or… Que pouic, que tchi, peau de balle ! Les fleurs sont là, les simples aussi ! Mais pas plus de forteresse que de beurre dans les nuages comme disait Ferdine ! Il reste l’incessant ballet des nuées de haute altitude, cirrostratus, cirrus et cirrocumulus toisant la mer infinie et les dunes de sable où se nichent de nombreux lièvres coquins, aux oreilles longues de velours, aux grands yeux noirs… et leurs petits. Sachez que le levraut ne tète sa mère qu’une fois par jour, en fin de journée. Aussi, si vous trouvez un jeune lièvre au sol, ne semblant pas blessé, laissez-le tranquille, ne le touchez pas, sa mère viendra le retrouver au moment opportun. De plus, c’est un petit animal très sensible au stress et la manipulation peut lui être fatale. Dormez, dormez, mes petits princes, n’ayez pas peur des loups-garous, n’écoutez pas le vent qui grince, saint François d’Assise veille sur vous.
Un écu, un vécu, une histoire !
Le blason de la ville résume fort bien son passé et ses mœurs. Le souvenir d’un fortin ou d’un corps de garde édifié à la fin du XVIIe siècle, afin de surveiller l’entrée de la baie d’Authie face à l’Angleterre ennemie, démantelé en 1815. Il paraîtrait que quelques ruines fussent encore visibles, près de la plage, au début du XXème siècle. Les crevettes grises évoquent la pèche à pied et la tortore canaille tandis que les lys blancs rappellent que le Marquenterre était, sous l’ancien régime, apanage du comte d’Artois.
Fort Mahon est une ville rue qui n’a pas tellement changée depuis sa fondation assez récente. La cité est fidèle par son aspect aux cartes postales en noir et blanc de jadis; et cette rue orientée est-ouest, mène jusqu’à un rond point prévu pour la réception de quelque hélicoptère de secours, de sauvetage, à deux mètres des flots. Les dunes sont visibles ça et là par le regard des allées secondaires perpendiculaires, derrière des maisons construites au début du siècle dernier. Que de sable, que de sable ! aurait dit Mac Mahon. L’ambiance semble pareille à la chanson de Trénet, surannée avec ses maisons rouillées au style vaguement anglais, le ciel changeant, les oiseaux blancs et ces roseaux mouillés.
Les établissements hôteliers ou de restauration font penser, irrémédiablement aux scènes du film de Jacques Tati : « Les vacances de monsieur Hulot » (tourné aux environ de Saint-Nazaire à Saint-Marc-sur-Mer). Le temps suspend toujours son vol quand on vit hors saison… « Et vous heures propices, suspendez votre cours. Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours », salut à Lamartine !
Pour le coté pratique; on peut louer assez facilement quelque appartement, équipé comme il faut, face à la mer à la morte saison pour presque rien et pour une ou deux nuits; sages, pieuses, contemplatives, mélancoliques, neurasthéniques, selon sa composition. De toute façon la station est, comme partout, par trop populacière, vulgaire, détestable, bruyante, incommodante quand vient l’été, à tel point que le maire et son conseil municipal ont interdit aux estivants indélicats de se trimballer par les rues, en destination de la grande roue ou de la baraque à frites, torse nu et bière en main. Comme Brassens, j’aime pas trop les gendarmes, mais quand j’ai croisé une patrouille sur la digue, nous nous sommes salués. Tout ce qu’il y a de plus réglementaire ! Et nous nous sommes souri (d’agneau du prés salé) sans mot dire. L’ordre règne.
Le guerrier et le roi.
C’est une chanson du Docteur Merlin, écrite par Guillaume Faye**. Elle nous emmène à une trentaine de kilomètres d’ici, à Crécy-en-Ponthieu où des cercles, des enclos préhistoriques et des tumulus ont été trouvés dans la forêt, tandis que se dresse encore un menhir au lieu-dit « La Longue Borne ». Crécy-en-Ponthieu est un lieu de défaite française datant du début de la Guerre de Cent Ans, du temps ou régnait Philippe VI de Valois. « Ils sont mort côte à côte, le guerrier et le roi, ils sont là sous la motte, à l’orée du grand bois / Quand l’esprit se souvient la race se maintient ! ».
Franck Nicolle

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Les maisons du bord de mer ont été détruites lors de la seconde guerre mondiale ce qui a provoqué la construction de ces digues nord et sud en guise de compensation. Au début du XXième siècle, la ville offrait un tout autre visage…