J’aime bien Aristide Leucate : c’est un essayiste sérieux, travailleur. Les sujets qu’il traite ne sont pas toujours yéyé et c’est vrai que j’ai préféré la lecture de son dossier sur Jean Raspail, « Dans les yeux du roi… et autres chemins parallèles de Patagonie et d’ailleurs » à son pourtant court essai « Polémos notre père », qui traite de la guerre, analysée non comme une catastrophe de l’Histoire, mais comme à l’origine de l’Histoire. Je n’y avais jamais réfléchi, mais il est exact que sans les guerres, il ne resterait pas grand-chose de l’Histoire.
Supprimez les épisodes guerriers de L’Illiade ou de L’Odyssée, que resterait-il ? Quelques tempêtes et quelques naufrages, quelques perturbations météorologiques, en fait. Je simplifie, évidemment.
Leucate s’est plongé dans la (re)lecture des textes d’Héraclite, d’Homère, de Clausewitz, bien entendu, mais aussi de Proudhon, de Julien Freund et de Bouthoul, et il arrive à la conclusion incontournable que la guerre est « le père de toute chose ».
Sa démonstration est irréfutable. Les optimistes nous diront peut-être que tout cela est de l’histoire ancienne, et que le monde d’aujourd’hui est équipé de moyens de communication et d’institutions internationales (SDN puis ONU etc.) qui nous mettent ou nous mettront à l’abri de la guerre. D’ailleurs l’adulé Jean Jaurès et tous les autres ont eu des paroles définitives pour mettre la guerre hors la loi. Le bilan du XXe siècle nous rassure-t-il sur ce point ?
Nous les femmes sommes sans doute beaucoup moins sensibles au romantisme guerrier que l’autre moitié de l’humanité, et je me chante souvent ce refrain du 1er Commando de France (quand je l’entends, sur les vieux disques de la serp, j’ai toujours la chair de poule) :
Quel est cet orage qui gronde ?
Quel est ce signe dans le ciel ?
Est-ce la fin de notre monde,
L’apocalypse qui nous réveille ? (ou « nous appelle, selon les versions, me semble-t-il)
Ce sont nos frères, nos camarades
Qui chantent ensemble et en cadence
Le grand Requiem de parade
Du Premier Commando de France
C’est la grande marche virile,
C’est la grande marche du sang,
C’est le grand rythme des cœurs d’hommes,
Que les femmes, ah les femmes, n’entendent jamais
« (…)
C’est du sang nouveau
Comme du vin nouveau
« La guerre nous avait donc saisi come une ivresse », écrit comme en écho Ernst Jünger dans Orages d’acier.
C’est du sang nouveau
Comme du vin nouveau
Mais pas pour les lèvres des femmes.
Alors que les barbares campent à nos portes…
Pas pour les lèvres des femmes…Méditez, chers lecteurs, cette phrase.
La guerre, nous rappelle Leucate, « est une institution humaine, destructrice, certes, mais aussi révélatrice et structurante. Elle est à ce titre indéracinable ».
Voilà de quoi nous donner le glagla ! Quand on voit comme en ce moment deux peuples slaves, qui parlent quasiment la même langue, dont les destins s’entrecroisent depuis des siècles, et que tout devrait donc réunir, s’affronter à l’Est de l’Europe, alors que les barbares campent à nos portes, quand ils ne les ont pas enfoncées, on se dit que la guerre est en soi une folie. Les femmes, les mères, surtout, en sont plus conscientes que quiconque. C’est de l’ordre de l’instinct.
Mais si j’ai bien compris le message de Leucate, le conflit armé est un risque qu’il faut assumer. A défaut nous serons balayés par l’Histoire : « L’oubli de Polémos pourrait bien nous coûter plus cher que sa reconnaissance ». Netanyahou aurait-il lu Leucate, Jünger, Clausewitz et les autres ?
La vision de Leucate -comme celle de ses illustres prédécesseurs – est sans doute la bonne, Mais dans ma famille, come dans la plupart des familles françaises de souche, l’impôt du sang a été épouvantable : 900 jeunes hommes français ont été tués chaque jour pendant ces quatre années. La France a perdu un million quatre cent mille de ses fils, bien plus qu’une génération, à une époque où le pays comptait 39 millions d’habitants. Or cette Alsace-Moselle que nous voulions réintégrer à la mère patrie comptait une population totale qui ne devait pas être très éloignée du total des morts français. Ce genre de calcul, le Hamas aurait sans doute été bien inspiré de le faire, pour sa part, avant le 7 octobre 2023…
Un spécialiste des tournois équestres
Terminons ces considérations un peu moroses en consultant la revigorante Constitution pratique pour sauver l’Occident, de Gilles-G. Raab. L’auteur n’a pas étudié le droit constitutionnel sur les bancs de l’Université, n’a pas consulté les vieux grimoires qui ont fait la France. C’est un spécialiste des tournois équestres et des spectacles de chevalerie.
Il serait facile de lui rire au nez et de lui dire : soignez vos chevaux, ne vous occupez pas de ce qui vous dépasse. Mais en même temps ces tournois médiévaux reconstitués lui ont fait acquérir une sorte de morale, de nouvelle table de Moïse pour chevaliers des temps modernes. Cette morale s’appuie sur dix commandements, c’est le fondement de son livre et de son projet de constitution qu’il appelle de ses vœux. Franchement je les ai lus, il n’y a que du bon sens dans cette sorte de manifeste. Evidemment il y a loin de la coupe aux lèvres. Et le bon sens est parfois la chose la moins bien partagée. Mais cela ne peut faire de mal que de se réimprégner périodiquement de ces préceptes sains (et saints).
Quant aux structures destinées à mettre en place ces « dix commandements », ils passent, selon Gilles-G. Raab, par l’instauration de droit divin (pourquoi pas ?), une monarchie parlementaire (bof), fédérale, avec les fonctions régaliennes nationales et européennes bien identifiées (oui, il serait temps !).
J’ai relevé aussi cette formule de notre chevalier Raab, qui pourrait être ajoutée au bouquet des citations dénichées par Leucate : la prochaine guerre « aura au moins l’avantage – comme toutes les autres – d’être l’océan dont les tempêtes lavent les côtes de trop d’ordures accumulées par les mesquineries de l’inconscience d’une paix trop longue ».
C’est un genre de discours « que les femmes n’entendent jamais », sauf peut-être une Jeanne d’Arc, tous les six siècles.
Madeleine Cruz
Polémos notre père, par Aristide Leucate, La Nouvelle Librairie, février 2025, 78 p.
Constitution pratique pour sauver l’Occident, par Gilles-G.Raab, Dutan, 2025, 142 p.
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