Liban

Le Liban à la croisée des chemins

Depuis la signature de l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024 entre le gouvernement libanais, y compris ses ministres du Hezbollah qui ont été les premiers à signer, et Israël, la milice chiite tergiverse concernant la remise de ses armes à l’armée libanaise, remettant sans cesse en cause les termes de l’Accord en accusant Tsahal de violations répétées de ces derniers, tout en mettant à profit ce calme relatif pour restructurer sa branche militaire, y compris au sud du fleuve Litani.

Simultanément, tant par la voix de son chef du bloc parlementaire chiite Mohammad Raad que du secrétaire général du parti Naim Kassem, le Hezbollah exerce une pression continue sur le chef de l’Etat et le gouvernement en avertissant régulièrement contre le risque de guerre civile au cas où la solution de la question des armes serait être réglée « sans son aval », en clair, jamais. Or, le monopole des armes aux mains de l’Etat souverain est une condition sine qua non à tout projet viable de restructuration, de reconstruction du Liban et de son intégration dans les projets de développement régionaux, seuls garants de son éventuelle résurrection socio-économique. Par ailleurs, tant la déclaration d’investiture du Président Joseph Aoun lors de son élection en janvier 2025 que celle du premier ministre Nawaf Salam lors du vote de confiance à l’Assemblée avaient réaffirmé la volonté ferme des plus hautes instances de l’Etat à réinstaurer leur autorité sur l’ensemble du territoire libanais. Il aura fallu attendre le 7 aout dernier pour que Nawaf Salam annonce enfin que « l’armée libanaise a été mandatée pour élaborer un plan d’action qui devrait être présenté au Conseil des ministres avant le 31 août, afin que, d’ici à la fin de l’année, les armes soient exclusivement détenues » par l’État, courcircuitant ainsi l’ineffable secrétaire général du Hezbollah qui  prononçait un discours simultanément avec cette réunion cruciale du Conseil des ministres, rejetant tout délai pour la remise de son arsenal aux autorités. Outre ce calendrier, le Cabinet a aussi approuvé la feuille de route de l’émissaire américain Tom Barrack pour consolider le calme à la frontière israélienne dont les principaux objectifs sont les suivants :

  • Restaurer la pleine souveraineté du Liban en appliquant l’accord de Taëf, la Constitution et la résolution 1701, et instaurer le monopole de la décision de guerre et de paix à l’État.
  • Garantir un cessez-le-feu durable et mettre fin à toutes violations terrestres, aériennes et maritimes.
  • Désarmer progressivement toutes les factions armées non étatiques, y compris le Hezbollah, tout en renforçant l’armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure.
  • Déployer des unités de l’armée dans les zones frontalières et les régions clés.
  • Obtenir le retrait d’Israël des « cinq points » occupés au sud du Liban et traiter par voie diplomatique les différends frontaliers et la question des prisonniers.
  • Assurer le retour des habitants des localités frontalières et délimiter de façon permanente les frontières avec Israël et la Syrie.
  • Organiser une conférence économique internationale pour soutenir la reconstruction libanaise, avec les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite, le Qatar et d’autres partenaires.
  • Mobiliser un soutien militaire et logistique international pour renforcer les forces de sécurité libanaises.

Sur le terrain, la FINUL et l’armée libanaise ont découvert, lors de l’opération « Kemmel 2 » réalisée en coopération avec 200 soldats français dans le secteur de Naqoura, à quelques centaines de mètres du centre de commandement des Casques bleus au Liban, un vaste réseau de tunnels fortifiés attribués au Hezbollah, ainsi que plus de 300 caches d’armes (artillerie, lance-roquettes, missiles, mines antichars, etc.), que curieusement la FINUL n’avait jamais détecté… Le porte-parole de la Finul, Andrea Tenenti, a indiqué que l’opération a eu lieu « dans le cadre de ses activités habituelles en vertu de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, et en étroite coordination avec l’armée libanaise ». Elle a mis à jour un « vaste réseau de tunnels fortifiés dans les environs des villages de Tayr Harfa, Zebqine et Naqoura ». Les militaires ont également trouvé « des pièces d’artillerie, plusieurs lance-roquettes, ainsi que des centaines de missiles et de roquettes, des mines antichars et d’autres engins explosifs ». De son côté, l’armée française a publié des photos de cette opération, montrant notamment un soldat dans une tranchée dans laquelle se trouve un lance-roquettes chargé, ou dans un tunnel, devant des boîtes contenant des centaines d’obus. Pour sa part, le Premier ministre Nawaf Salam affirme que plus de 500 positions et dépôts ont été démantelés par l’armée depuis juin.

Il ne reste ainsi que deux choix au Hezbollah : se soumettre à la loi, rendre les armes à l’armée libanaise et intégrer l’échiquier politique sans moyens de coercition internes, ou tenter un coup d’Etat similaire à celui du 8 mai 2008 (qui fit suite à la décision du gouvernement Siniora de démanteler le réseau de communication interne du Hezbollah et de limoger le chef de la sécurité de l’aéroport, très proche du mouvement chiite. Le Hezbollah avait alors perçu ces décisions comme « une déclaration de guerre à la résistance » et appelé à la mobilisation des miliciens du Hezbollah et d’Amal, notamment dans l’ouest de Beyrouth, déclenchant des combats meurtriers), risquant de perdre définitivement toute légitimité aux yeux de la communauté chiite une nouvelle fois volontairement exposée à une riposte militaire d’Israël qui, n’en doutons pas, ne tolèrera plus jamais une présence terroriste à ses frontières.

Sophie Akl-Chedid

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Un commentaire

  1. L’article de Sophie Akl-Chedid rend un peu plus optimiste sur l’avenir d’un Liban qui pourrait retrouver enfin un peu de sa pleine souveraineté, et d’une prospérité perdue il y a plus d’un demi-siècle.
    Mais qu’en est-il des druzes qui, dans les années 75, avec le clan Jumblatt, représentaient un courant islamo (hétérodoxe)-marxiste très virulent ? Les différentes communautés chrétiennes se rapprochent elles et se renforcent elles ? Et les Sunnites ? En clair, le patriotisme libanais peut-il profiter de l’affaiblissement des sécessionnistes ultra-violents du Hezbollah et inféodés à l’Iran, pour se renforcer, malgré le fait que cette désorganisation soit due à l’intervention de l’armée d’un Etat étranger ?

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