À la suite d’une nouvelle saisine, déposée cette fois par le député mélenchoniste Aurélien Saintoul qui accuse notamment CNews « de manquements graves à ses obligations d’honnêteté » par son traitement de la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen, l’Arcom a indiqué le 30 septembre avoir reçu plusieurs signalements à l’encontre de la chaîne. Contre laquelle l’Autorité de régulation de l’Audiovisuel pourrait prendre plusieurs mesures plus ou moins coercitives, simple lettre de rappel ou sanctions pécuniaires.
Je ne regarde jamais CNews, dont la plupart des intervenants sont insupportables, et je n’ai de ma vie voté pour Sarkozy. Mais j’ai épluché les 380 pages du jugement de cette affaire, sans bien comprendre le bien-fondé de l’accusation selon laquelle Kadhafi aurait financé la campagne de Sarkozy en 2007. Et l’avis de Camille Galic selon laquelle, « sur le plan du droit », le dossier est « bien léger » (1) me paraît justifié.
Mais voyons de plus près.
Sur quoi exactement repose l’accusation ?
Pour aller vite, tout commence fin 2012, lorsque le feu Libanais Ziad Takieddine évoque ce financement alors qu’il est entendu dans le cadre de l’affaire Karachi. Cet intermédiaire affairiste, peu fiable et déjà condamné pour faux témoignage dans l’affaire Karachi, variera dans ces affirmations au fil du temps, en évoquant notamment des remises de valises remplies de billets dans le bureau puis au domicile parisien de Claude Guéant, ainsi qu’à Sarkozy lui-même. Le tribunal ne retiendra pas ces dernières allégations, « dépourvues de toute crédibilité ».
Contrairement à ce qu’aurait affirmé CNews, l’accusation ne repose pas sur une note diffusée par Médiapart entre les deux tours de l’élection présidentielle, d’autant que ce document n’a finalement pas été retenu en raison de son caractère douteux.
De même, le tribunal relativise, tout en les rappelant longuement, les affirmations, jamais prouvées, de dignitaires libyens à l’encontre de Sarkozy.
La culpabilité personnelle de Guéant est avérée parce qu’il a bénéficié d’une somme de 500 000 euros, via un montage financier complexe initié par un autre intermédiaire, le Franco-Algérien Ahmed dit Alexandre Djouhri, en échange d’une prétendue vente de tableaux. Cette somme a servi à Guéant lors de l’achat d’un appartement et non au financement de la campagne électorale. Par ailleurs, mais en rapport avec l’affaire Sarkozy selon le tribunal, Guéant a également rencontré des dignitaires libyens lors de voyages officiels ou de manière confidentielle.
Les juges retiennent à la charge d’Hortefeux le fait qu’il aurait, selon des déclarations de Takieddine en 2018 (!), remis un RIB, lors de son unique voyage en Libye en décembre 2005, à Abdallah Senoussi, ancien chef du renseignement recherché suite à une condamnation pour terrorisme. Takieddine a indiqué la date de cette rencontre, où il était présent et dans laquelle il a joué un rôle actif, avant de citer une autre date en novembre 2006. Un peu plus tard, une somme globale d’environ six millions d’euros provenant des services secrets libyens a été virée en trois fois, via un processus complexe, sur un des comptes de Takieddine. Ce dernier n’a pas justifié clairement l’origine de cette somme, ce qui permet aux juges de rapprocher ce virement du séjour en Libye de Brice Hortefeux, agissant dès lors comme émissaire de Sarkozy, sans envisager le fait que Takieddine travaillait non seulement pour la partie française mais aussi, selon ses propres archives, pour les services libyens, ses contacts internationaux justifiant donc des commissions de leur part pour des affaires éventuellement étrangères aux intérêts français. Outre le fait que cette prétendue remise de RIB, niée par Hortefeux, ne repose que sur les dires de Takieddine, on comprend mal pourquoi les Libyens n’auraient pas tout simplement demandé à ce dernier, qu’ils connaissent fort bien, de leur communiquer ses coordonnées bancaires, s’ils ne les possédaient pas déjà.
Thierry Gaubert (2), déjà inquiété dans l’affaire Karachi et qui est proche de Takkieddine, a également reçu 440 000 de ce dernier sur un compte au Bahamas, prétendument pour une histoire de prêt d’ordre privé. Et comme Gaubert est également proche de Sarkozy…
Un « pacte de corruption » non identifié
L’accusation a également évoqué le versement d’une somme globale d’environ 35 000 euros en liquide (un montant reconnu comme faible, dans le cadre de cette affaire, par les magistrats instructeurs) à des collaborateurs et militants remerciés pour leurs efforts durant la campagne électorale, la défense justifiant l’origine de ces espèces par des versements de donateurs préférant utiliser ce mode de financement. Le tribunal reconnaît finalement l’impossibilité d’établir avec certitude que cette somme proviennent des fonds libyens ayant abouti ou transité sur le compte de Takkieddine.
Au total, les juges retiennent les arguments du PNF qui évoque un « pacte de corruption », bien que le Parquet financier reconnaisse expressément « ne pas disposer d’élément permettant d’identifier le circuit financier par lequel les fonds versés (…) auraient été injectés dans la campagne électorale« .
Les juges considèrent pourtant que le délit d’association de malfaiteurs est constitué, Sarkozy ayant laissé agir Guéant, Hortefeux et Takieddine en son nom pour obtenir ou tenter d’obtenir de la part des Libyens des soutiens financiers pour sa campagne de 2007, en échange de « contreparties diplomatiques, économiques et juridiques » (le tribunal a cité à cet égard plusieurs hypothèses liées au contexte de l’époque).
Je ne m’attendais pas à être un jour l’avocat de Sarkozy, mais cinq ans avec mandat de dépôt (à effet différé) avec exécution provisoire, et 100 000 euros, pour un dossier d’accusation aussi faible du point de vue juridique, c’est fort… et surtout inquiétant. Pour tous les justiciables.
Johan Hardoy
(2)Divorcé de Diane Barrière puis d’Hélène Karageorgevitch, princesse de Yougoslavie, Thierry Gaubert est le frère du dentiste Patrick Gaubert, ancien député européen et, de 1999 à 2010, président de la LICRA après avoir entre 1986 et 1988 été chargé de mission au cabinet de Charles Pasqua pour la coordination de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (création de cellules départementales antiracistes, poursuite contre des médias, dont Présent et Rivarol). NDLR.
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