L’un de mes amis, qui publie régulièrement des ouvrages appartenant au genre de ceux que l’on ne trouve que « dans les bonnes librairies », et qui, par ailleurs connaît ma nostalgie tintinesque née de souvenirs d’enfance, vient de m’offrir un livre censé révéler les ultimes secrets du père de Tintin. Beau cadeau !
Mais quand j’ai découvert la couverture de cet ouvrage, mon enthousiasme s’est quelque peu refroidi. Elle représente Hergé façon BD, qui tient d’une main un livre orné d’une grande croix gammée, et qui, de l’autre, ouvre le tiroir marqué « Propagande » d’un porte-classeurs. Le tiroir du dessous renferme apparemment des dossiers de « Politique ». Le nom des tiroirs suivants est masqué par l’imperméable d’Hergé accroché à une patère, et par le dossier d’une chaise. Mais on imagine volontiers que ce même meuble aurait comporté un tiroir « Collaboration », un tiroir « Degrelle », un tiroir « abbé Norbert Wallez », un tiroir « Jam » ou encore un tiroir « Robert Poulet », si le dessinateur avait eu suffisamment de place..
« Ça recommence ! », ai-je pensé en découvrant cette couverture. Qu’est-ce qui recommence ? Les attaques contre l’œuvre d’Hergé, contre lui personnellement, contre ses amis. Une légende noire court sur Hergé, depuis la fin des années 1970 sur le passé du dessinateur, Milou ayant été accusé par le Parti communiste belge, dès 1945, d’avoir mis sa truffe dans les poubelles allemandes pendant l’Occupation. C’est ce harcèlement moral pratiqué contre Hergé qui avait abouti à la non-réédition de Tintin au pays des soviets, pendant une quarantaine d’années, et au retrait et à la destruction de Tintin au Congo, en particulier des bibliothèques du monde anglo-saxon.
Mais quelques travaux sérieux et exhaustifs comme le Hergé de Pierre Assouline (1996) ont fait litière de ces procès en sorcellerie, pensais-je naïvement. En parallèle l’œuvre du créateur de Tintin se trouvait progressivement élevée au rang de chef d’œuvre universel, avec, l’ouverture du Musée Hergé à Louvain-la-Neuve (1979), l’exposition du Grand Palais à Paris (2016-2017), les enchères incroyables lors de ventes aux enchères de planches originales d’Hergé, ou la publication, par Philippe Goddin, de la Chronologie d’une œuvre en 7 tomes, et des Coulisses d’une œuvre, également en 7 tomes (échelonnées de 2000 à 2025).
Les sources de l’inspiration
J’étais quand même un peu étonné de trouver Bob Garcia embrigadé dans le wokisme anti-hergéen. Quelqu’un qui connaît et aime Conan Doyle, et Jules Verne comme lui ne peut pas avoir un mauvais fond, me semblait-il. J’avais conclu de trop courtes conversations avec lui au salon du livre de Montaigu, il y a quelques années, qu’il avait plutôt « bon esprit », et qu’il n’entendait pas régler ses comptes avec les auteurs qui l’avaient fait rêver quand il était enfant.
En fait la couverture du livre Hergé, les ultimes secrets, ne reflète pas vraiment le travail de Bob Garcia ni l’esprit dans lequel il l’a réalisé. Ce gros livre un peu ardu, et qui s’adresse avant tout à des spécialistes de l’œuvre du père de Tintin, pas vraiment à des amateurs de polémiques pour ou contre Hergé, est un pur travail d’érudition.
Bob Garcia a cherché à retrouver les sources de l’inspiration d’Hergé, et il est arrivé à la conclusion que celle-ci a largement découlé de la lecture du XXe Siècle, le quotidien catholique dans lequel Hergé a fait ses premières armes et que dirigeait – avec quel talent ! – l’abbé Wallez, et aussi dans Soir Jeunesse et dans Le Journal de Tintin d’après-guerre.
Ce travail de compilation démontre que tout le procès fait à Hergé, au XXe Siècle et au Petit XXe, à l’abbé Wallez, fut un procès à charge, sans aucune objectivité. Les procès en racisme, en colonialisme, en fascisme, en anti-indigénisme, en antisémitisme etc. étaient truqués. Les phrases étaient sorties de leur contexte. On encore les accusations portaient sur des visions (les Congolais, les Japonais etc.) qui étaient celles de la totalité des médias de l’époque, à juste titre, d’ailleurs, dans la plupart des cas.
Quant à la description du pays des Soviets, ce ne sont tout de même pas nos néostaliniens d’aujourd’hui qui sont les mieux placés pour contester les famines d’Ukraine, la barbarie du NKVD, le terrorisme communiste, eux qui ont continué à s’en faire les complices lors du supplice du peuple cambodgien par exemple.
Les blagues juives du XXe Siècle de l’abbé Wallez et d’Hergé
L’une des principales charges contre Hergé et contre Le XXe siècle de l’abbé Wallez porte sur leur antisémitisme supposé. La plupart des commentateurs malveillants relèvent les blagues juives que l’on pouvait trouver dans Le XXe Siècle ou dans Le Petit XXe. Mais à aucun moment ces mêmes commentateurs et censeurs ne soulignent le fait que ces « histoires drôles » sur les juifs, étaient publiées avant la guerre, mais surtout que d’autres histoires sur le même thème du goût pour l’argent, ou de l’avarice supposée, avaient pour « héros » des Ecossais, par exemple. Curieusement nos censeurs ne sont pas partis en croisade contre les préjugés concernant les Ecossais, ou les Auvergnats. D’ailleurs ce thème, qui était jugé rédhibitoire il y a quelques années, semble beaucoup moins scandaleux depuis que l’extrême gauche et les mélenchonistes l’ont l’intégré dans le catalogue de leurs croyances.
Francis Bergeron
Hergé, les ultimes secrets, par Bob Garcia, éditions du Rocher, 2023

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