Madiran

Jean Madiran : un homme libre…

Un jour que j’avais titré la recension d’un de ses livres : « Madiran, c’est beaucoup plus que Madiran », il m’avait dit : « – J’aime bien cette accroche. Je suis un peu fatigué, voire effrayé, de ces sépulcres blanchis qui tendent à faire de moi une sorte d’image de vitrail… »

Plus de trente ans de compagnonnage quotidien. Dont une quinzaine d’années passées dans le même bureau. Au coude à coude à tous les sens du terme (nos « pupitres » faisaient du touche-touche). Alors des confidences. Des rires. Des chansons. Des galéjades façon Cadets de Gascogne. Des déjeuners de mousquetaires. Jamais une ombre.

C’est le Jean Madiran que j’ai connu et aimé. Vivant, vif, malicieux, méridional. Non pas renfermé dans je ne sais quel tour d’ivoire mystique, mais ouvert sur le monde et son actualité (difficile de le coincer sur le cinéma et sur la télé). C’est la raison qui fait que j’ai, parfois, du mal à le reconnaître dans les portraits sulpiciens que l’on a fait de lui depuis qu’il a rejoint la Maison du Père. Méfions-nous des gardiens du temple : ils n’ont pas toujours les bonnes clefs… Sur les principes ? Intransigeant. Mais indulgent, ô combien indulgent, aux faiblesses humaines…

De son vrai nom Jean Arfel, né à Libourne le 14 juin 1920, il a collaboré à L’Action française et côtoyé Charles Maurras. Il interpella même le grand Martégal – « On ne doute de rien quand on a 20 ans », disait-il en racontant cet épisode – lors d’une conférence de ce dernier dans le sud-ouest. Il ne se départira jamais de l’admiration affectueuse pour le maître de l’AF. Mais il fallait l’entendre aussi parler de Péguy et réciter ses poèmes (notamment avec Georges-Paul Wagner, son compère).

En 1945, après une retraite dans un monastère situé sur une colline de Madiran, il va choisir ce pseudonyme qui claquera jusqu’au bout comme une oriflamme : Jean Madiran. Il en aura d’autres. Dont Jean-Louis Lagor et Jean-Baptiste Castetis, du nom de deux communes – comme Madiran – des Pyrénées-Atlantiques.

C’est sous le nom de Jean-Louis Lagor qu’il publie, en 1948, son premier livre : La Philosophie politique de saint Thomas. Avec, en une sorte de préface, une lettre de Charles Maurras : « Inutile de vous dire qu’avec un telle caution,l e roi n’était pas mon cousin… »

Et puis, dans la fournaise de l’après-guerre, l’aventure journalistique à L’Indépendance française, Aspects de la France, Rivarol. Son talent est tel que Beuve-Méry, du Monde, l’approchera pour lui proposer une chronique quotidienne. Comme les Marines, les leather necks, Jean Madiran avait la nuque raide. Il refusera cette offre où, disait-il, il aurait perdu son âme en n’écrivant plus le vrai, le beau, le bien.

En 1966, il crée la revue mensuelle Itinéraires qu’il portera jusqu’en 1996. L’histoire de l’influence d’Itinéraires sur des générations de jeunes hommes (Bastien-Thiry, par exemple) mériterait à elle seule un gros volume…

En 1982, il est le cofondateur de Présent. Sur cette nouvelle aventure, on relira le très beau texte de François Brigneau, « Le million de Madiran ». Il consacrera sa vie à Présent (lui sacrifiant même, peut-être, Itinéraires). Avec un professionnalisme qui fait de lui l’un des grands patrons de presse des XXe et XXIe siècles. Et des fulgurances souvent. Alors que la question de la succession de Le Pen était loin de se poser, il avait « prédit » : « Le plus vraisemblable, c’est qu’il installera Marine. Et c’est aussi le plus raisonnable ».

Son œuvre écrite est importante. Avec des trésors : On ne se moque pas de Dieu (1957), La Vieillesse du monde : essai sur le communisme (1966), La République du Panthéon (1982), Maurras (1992), Les Droits de l’homme DHSD (1995), Une civilisation blessée au cœur (2002), Maurras toujours là (2004), Histoire du catéchisme 1995-2005 (2005), etc.

Des gens plus savants – ou supposés tels – vous diront sans doute des choses plus profondes sur Jean Madiran. Ce que je vous dis, moi, c’est l’homme des petits matins de Présent, des repas autour d’un couscous où nous chantions Piaf, Bécaud, Trénet, Fréhel, Lyse Gauty, Brassens et les autres , des moments de spleen vite balayés par une foi sans failles.

« Pas toujours facile facile, votre Madiran », vous diront certains. Ils se trompent. Un regard d’enfant encore émerveillé, celui de sa promesse de scout. Un regard bleu qui ne jugeait jamais. Un catholique de plein air, de soleil, de Maillane, de Magali, de Mistral, de Daudet de Coupo Santo, de Hussard sur le toit. Une rareté : un homme libre.

Alain Sanders

(3 commentaires)

  1. Merci à Alain Sanders, à Francis Bergeron et à Chard qui ont fait revivre « l’homme libre » (Sanders) que fut Jean Madiran, qui ne fut pas seulement un grand « patron de presse » (Bergeron) mais aussi un « grand » éveilleur d’esprits et un combattant pour la survie de notre civilisation helléno-chrétienne.
    En 1988, je ne fus pas d’accord avec lui sur le sacre d’évêques par Mgr Lefebvre, dont il se désolidarisa alors, mais j’admirais sa culture, sa pugnacité et la clarté de ses analyses.

  2. « En 1966, il crée la revue mensuelle Itinéraires… » : Ce doit plutôt être 1956 .
    Panégyrique …

  3. Un très beau papier pour un très grand bonhomme ! Repose en paix, Jean Madiran, et continue de nous inspirer…

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