Mabire

Les lectures de Madeleine Cruz : Mabire et la Bretagne

Le cher Jean Mabire nous mettait la Normandie à toutes les sauces : Histoire de la Normandie, les vikings en Normandie, Panzers SS dans l’enfer normand, Les ducs de Normandie, Guillaume le Conquérant, Grands marins normands, Les Bérets rouges en Normandie, Drieu, la Normandie et le nordisme, Drieu et le tempérament cotentinais, Jean Mabire et le Mouvement normand, Des poètes normands et de l’héritage nordique, etc. Naïvement j’imaginais donc que Jean Mabire était un vieil érudit normand, et qu’il habitait quelque part dans cette région, à Caen, peut-être, ou plutôt dans le Cotentin, puisque tante Mathilde m’avais fait lire un roman de lui, dont le héros était un journaliste normand, de Cherbourg, si ma mémoire est bonne.

Un jour, François Brigneau, mon grand-oncle m’a embarqué pour une virée automobile jusqu’à Saint-Servan.

  • Tu verras, c’est en face de Saint-Malo, un coin très chouette. On va manger des fruits de mer, tu vas te régaler, m’avait-il dit pour m’appâter.

En fait il devait voir Mabire, pour parler de je ne sais quel projet éditorial.

  • Chouette ! Je vais enfin connaitre la Normandie ! me suis-je exclamé, ce qui l’a fait sourire. A ma grande confusion, il a répété ma bourde à Mabire.

Jean Mabire était un type de belle carrure, d’allure plutôt sportive, extrêmement sympathique. Comme il était tout chauve, je le trouvais vieux. Mais il était plus jeune que tonton Brigneau. En fait il avait alors…l’âge que j’ai aujourd’hui -et que je préfère ne pas vous donner – ! C’était un érudit, certes, mais il n’avait pas l’allure du vieil-érudit-de-province comme on les imagine : le cheveu un peu long (lui, il ne pouvait carrément pas se faire un catogan, et il n’était pas du genre non plus à se mettre une moumoute), les pantalons de velours usés aux genoux, la veste lie-de-vin à la mode trente ans plus tôt.

Il restait chez Mabire un côté militaire et british. Il m’a montré des photos de sa guerre d’Algérie. Et pour le coup il était franchement superbe en officier arborant sa batterie de médailles

Comme le poste de pilotage d’un navire

Je me souviens de sa maison, sur le quai Solidor, en face de la mer. Il y avait des livres partout, sur des étagères, jusque dans les escaliers (sa villa était en hauteur), et même au-dessus des portes, ce qui m’avait frappé. Je n’ai pas demandé à visiter les caves, mais c’était probablement la même chose ! La passion des livres, c’est terrible. Ça prend plus de place que les timbres ou les cartes postales, et des caisses de livres, c’est très lourd !

Ce n’était pas qu’une passion pour Mabire, c’était ses outils de travail, puisque son gagne-pain était d’écrire des ouvrages, essentiellement historiques, militaires et maritimes, pour lesquels une grosse documentation était nécessaire. Je n’ai pas visité les caves, mais j’ai visité le grenier, ou plus exactement le bureau de Jean, qui était peut-être un grenier, autrefois. Mes souvenirs sont anciens, puisque Jean Mabire nous a quitté en 2006. J’imagine que cette visite début des années 1990. Je devais avoir alors une vingtaine d’années. Il y avait une grande table, genre table de ferme, qui lui permettait d’étaler livres et documents en support à ses travaux d’écriture du moment. Ce bureau, c’était comme le poste de pilotage d’un navire, avec vue à 180° .

Mabire vivait donc en Bretagne, contre toute attente. Dans sa jeunesse, il avait fréquenté les scouts bretons Bleimor. Plus tard il a connu des personnalités du nationalisme breton comme Olié Mordrel ou Yann Fouéré. Tout cela nous est rappelé, sous la plume de Bernard Leveaux dans l’introduction du dernier Magazine des amis de Jean Mabire (été 2023) consacré précisément aux liens entre Mabire et la Bretagne. Ton,ton Brigneau n’était pas un nationaliste breton à la façon de Mordrel ou Fouéré, mais il était natif de Concarneau et se sentait peut-être davantage chez lui à Saint-Servan-Sur-Mer qu’à Saint-Cloud-sur-Terre.

Les archives de Jean Mabire

C’est un superbe numéro de 56 pages que je recommande donc à ceux qui aiment la Bretagne (c’est la région préférée des Français, parait-il). « Tout le monde aime la Bretagne ! » titre d’ailleurs l’article culinaire de Franck Nicolle, dans ce numéro. De Jean-Edern Hallier à la famille Bolloré (« de sinistre réputation », ajouterait tout journaliste du secteur public qui se respecte), en passant par l’éditeur Jean Picollec, très récemment disparu, ce numéro fait le tour des réseaux de Mabire en Bretagne, et des passerelles entre la Bretagne et la Normandie.

Le temps s’écoule, je n’ai plus vingt ans. Mabire, mon grand-oncle Brigneau, ma tante bien aimée Mathilde Cruz, Edern-Hallier, Picollec, Olier Mordrel, Gwen-Aël Bolloré, le barde Glenmor… « tous sont morts et leurs casques rouillés dans le vent veillent sur mille tombes fleuries… », comme on chantait chez les « oies sauvages » de Jean Mabire.

J’ai découvert dans la feuille qui accompagnait l’envoi de ce bulletin, que les archives de Jean Mabire – et peut-être donc cette bibliothèque qui m’avait tant impressionnée – se trouvent aujourd’hui à l’Institut Emmanuel Ratier. Une belle œuvre de conservation de notre mémoire, dont il faudra que je vous parle une prochaine fois.

Madeleine Cruz

Magazine des amis de Jean Mabire, 1 rue de l’Eglise Baulne-en-Brie, 02330 Vallée-en-Champagne contact@jean.mabire.com

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