Pour des raisons que j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer dans les colonnes du « Nouveau Présent », je me fais un devoir de commenter toutes publications, tout événement d’importance, concernant Robert Brasillach. Si vous ne voyez pas clairement le rapport entre Brasillach et « l’esprit Présent », alors replongez-vous dans la biographie de Brasillach signée de Madiran (l’une des toutes premières : elle date de 1958, rééditée en 1985), ou dans les Derniers cahiers de Brigneau, publiés entre 1991 et 1998.
Empêcher que Brasillach soit oublié, ostracisé malgré son destin tragique, que l’on peut qualifier de martyre, me parait plus important, dans le long terme, que de savoir par exemple si le volet financier du programme RN aggravera ou non le déficit macronien. Brasillach est un symbole. Si « l’arc républicain » culturel – qui me parait désormais aussi rigide que « l’arc républicain » politique -, ne peut en aucune manière être assoupli, c’est que le wokisme est amené à définitivement triompher, à terme. D’où la nécessité de se battre, quitte à « en faire trop » sur Brasillach. Mais on n’en fera jamais assez.
C’est pourquoi tester les failles de ce fichu « arc républicain » culturel à partir d’une réédition d’un ouvrage non polémique de Brasillach me parait un exercice utile.
Quoi de plus neutre, apparemment, de plus éloigné des idéologies du XXe siècle, que l’œuvre de Corneille ? Corneille est un classique. Il est (ou au moins il l’était, de mon temps) étudié en profondeur dans l’école laïque et républicaine comme dans l’école des bons pères.
Brasillach n’est pas Assouline ni Castelot. Il ne cherche pas à « décortiquer » Corneille, à l’examiner dans le détail au regard de son rapport à l’Histoire, celle de son époque, pas plus qu’il ne tient à nous révéler tous les aspects de l’auteur du Cid, jusqu’à ses pensées les plus secrètes telles qu’elles sont supposées affleurer parfois dans les correspondances, par exemple.
Un Corneille impressionniste
Non, ce n’est pas cela. Brasillach veut nous raconter son Corneille. Il veut nous faire aimer un nouveau Corneille, Il s’en explique d’ailleurs dans sa préface : il ne veut pas raconter le Corneille de « la même image figée » : « l’honneur et le devoir, certaine phrase de La Bruyère que tout Français vacciné et diplômé a expliqué au moins une fois, et la clémence qui l’emporte sur la passion, et l’amour de la patrie sur celui de la famille, et l’amour de Dieu sur tous les autres ». Brasillach nous a en quelque sorte donné un Corneille impressionniste, Corneille tel qu’il le voit, lui..
Soit. Mais aujourd’hui, soit près d’un siècle après qu’ait été publié pour la première fois cette biographie, les « images figées » que déplorait Brasillach sont des images aujourd’hui sacrément non-conformistes, pour ne pas dire iconoclastes (sic !). Quoi, l’honneur ? Quoi, le devoir ? Quoi, l’amour de la patrie ? Pour le public d’aujourd’hui, Corneille est devenu un homme de théâtre « dérangeant ».
L’auteur de Notre avant-guerre s’adressait à un public bien différent de celui de 2024, car en 1938, malgré tous les doutes et toutes les illusions sur la conduite du pays, ce public d’avant-guerre restait réceptif à ces vertus. D’où la nécessité, selon Brasillach, de raconter un Corneille différent, provocateur.
Ce qui veut dire aussi logiquement que Corneille, pour les temps présents, n’a plus besoin d’être débarrassé de son « conformisme » patriotique, héroïque, chrétien, puisque la doxa actuelle déteste ou tourne en dérision ces vertus.
Le Corneille de Brasillach, avec ce parti-pris « révolutionnaire », est-il de ce fait devenu inutile ?
Je ne dirais pas cela. D’abord la magistrale iconographie, rassemblée par David Gattegno, rend l’ouvrage plus plaisant, plus confortable à lire que l’édition originale de 1938, plus riche que la réédition Fayard de 1961, déjà un peu illustrée, pour le coup, ou encore celle du Club de l’honnête homme dont je réalise seulement aujourd’hui que les petits caractères pouvaient indisposer les lecteurs à lunettes, dont je fais à présent partie.
Il y a ensuite le style de Brasillach. Brasillach n’est ni pédant ni didactique. De ce fait il peut être lu par un adolescent de quinze ou seize ans, surtout si cet ado veut épater son professeur de français. Il vise à restituer simplement l’époque, l’œuvre. Et en ce qui concerne l’homme, il s’efforce de nous raconter ce que l’on sait de lui, en l’occurrence peu de choses, d’ailleurs. Disons que si l’on veut lire une biographie de Corneille, c’est incontestablement cette biographie-là qu’il faut lire.
A l’écoute d’un guide expérimenté
Il est possible de la compléter par l’entretien qu’avait accordé Alain Didier, le critique théâtral de Présent, à Anne Le Pape, entretien publié dans le Hors-Série sur le théâtre, précisément. L’entretien portait sur Corneille, son style, ses thèmes. A la dernière question : « pourquoi lire Brasillach parlant de Corneille », Alain Didier répondait : « c’est non seulement se mettre à l’écoute d‘un guide expérimenté, mais encore vérifier que le verdict infâme de 1945 nous a privés aussi d’un maître en technique théâtrale, capable d’imaginer la mise en scène moderne des pièces de Corneille, et d’un esprit libre n’hésitant pas à définir le classicisme comme une révolution permanente pour lequel l’éternelle jeunesse du théâtre de Corneille, du moins dans sa meilleure part, ne fait aucun doute ».
J’aime aussi ce qu’écrivait Stéphane Denis dans Le Figaro Magazine (18 mars 2006) à propos du Corneille de Brasillach. Il rappelait que lors de la réédition de 2006 du Corneille, Fayard avait lâchement écrit, dans une sorte d’avertissement : que cette biographie était aussi un « document illustrant les propos engagés d’un journaliste d’extrême droite, futur collaborateur, qui a rapproché parfois le contenu politique des pièces de Corneille -notamment sous l’angle du culte de la volonté – avec les références d’époque qu’il puisait dans l’Allemagne nazie ou l’Italie mussolinienne ». Stéphane Denis s’amusait dans cet article à mélanger le discours accusatoire du commissaire du gouvernement Reboul qui demanda et obtint la mort pour Brasillach et les honteuses et piteuses réflexions de l’éditeur Fayard.
J’avoue que j’ai cherché avec gourmandise et aussi une vague inquiétude ces allusions scabreuses et quelques peu anachroniques au IIIe Reich ou au fascisme, dans la réédition de l’Association des Amis de Robert Brasillach. Je ne les ai pas trouvées. Etait-il possible que David Gattegno et l’équipe des ARB aient fait un travail de censure ? Mais je ne les ai pas davantage trouvées dans l’édition de 1938 !
C’est tout simplement que, lorsque Fayard publie Brasillach, même pour une œuvre aussi universelle et déconnectée par essence du contexte de la Seconde Guerre Mondiale, il faut toujours glisser quelques petites saloperies pour éviter sans doute que le lecteur soit tenté de lire d’autres ouvrages de Brasillach, et finisse par être contaminé, par identifier Degrelle ou Doriot, voire, pire encore, Bardella, au Cid !
Madeleine Cruz
Corneille par Robert Brasillach, Ed des sept couleurs, préface du professeur Alain Lanavère, index et importante iconographie.
Cahier des amis de Robert Brasillach n¨37, Corneille. Printemps 1992.
Œuvres complètes de Robert Brasillach, Tome VII, Club de l’Honnête homme, 1964.
Excellente recension …. merci chère Mathilde… pardon, Madeleine !
Sur les conseils de Madeleine Cruz, je me suis donc procuré le « Corneille » de Brasillach, Madeleine Cruz a dit l’essentiel, mais je voudrais insister- plus qu’elle ne l’a fait – sur la qualité du travail opéré. C’est loin d’être un « reprint », une simple réédition. L’iconographie est vraiment importante (accompagnée d’une « iconologie » !), Merci David Gattegno ! Et nous avons à la fois un « index glosé des noms cités » et un « index des oeuvres et traductions de Pierre Corneille ».
Madeleine Cruz ne dit rien de la préface d’Alain Lanavère, et c’est dommage, car c’est un modèle d’érudition. Lavanère rappelle notamment que Brasillach écrivit cette biographie en un an, certes sur la base de conférences qu’il avait données précédemment au « Cercle Rive gauche », à la demande de son amie Annie Jamet. Mais quelle puissance de travail ! Car il y avait en parallèle ses activités de journaliste, ses reportages, et ses autres livres. On comprend que les communistes aient voulu sa peau !
Bien évidemment il faut posséder un exemplaire de l’édition originale, pour le plaisir bibliophilique, si possible avec un envoi, mais il faut en outre avoir cette édtion des Sept couleurs, qui, comme les autres éditions de la même maison (« Histoire de la guerre d’Espagne », « Lettres à une provençale », « A travers l’épuration »), sont trés utiles pour approfondir sa connaissance de l’oeuvre de Brasillach.