Lavandou

Des lieux où souffle l’esprit : le Lavandou si doux !

Je sortais tout droit du Grand Meaulnes avec mes yeux d’adolescent quand nous empruntions, papa, maman, ma sœur et moi, les trains de nuit à voitures-couchettes, pour nous rendre en vacances sur la Côte d’Azur. Ce nom évoquait dans mon imagination de p’tit Normand, le soleil, la lavande, les cigales et la mer chaude, une plage de sable et un accent chantant. Et tandis que s’ébrouait, depuis la gare de Lyon, le dur au son du tac-à-tac caractéristique ferroviaire et les soubresauts, je ne pouvais m’empêcher de rêver tout éveillé.

Les locomotives électriques couleur « feldgrau » d’alors étaient estampillées « BB 9200 ». Les banquettes de deuxième classe étaient inconfortables et fermes. Des employés de la SNCF devaient les escamoter pour les transformer en couchettes superposées destinées aux longs voyages nuiteux. Les drap-sacs de voyage étaient mous et fins comme peau de chagrin, les couvertures rêches, les oreillers bien légers. On ne dormait pas bien sûr, trop de secousses, d’excitation aussi, de chaleur mal ventilée, de passages dans le couloir et de promiscuité en cabine sous la faible lumière blafarde d’une vilaine veilleuse. Si en plus, comme disait Chirac, vous ajoutez à cela les bruits et les odeurs… Du moins étions-nous allongés pour un transport qui devait durer près de dix heures.

« Ding-ding-dong / ding-ding-dong… Sur voie 19 le rapide 5049 à destination de Dijon, Lyon, Avignon, Marseille, La Ciotat, Bandol, Toulon et Hyères va partir. Veuillez monter en voiture et fermer les portes s’il vous plait. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, nous vous souhaitons un voyage agréable ». A cette époque pourtant pas si lointaine, roulaient encore des « Michelines », puis des Turbo-trains mais point de TGV, de TER ou de Ouigo. Il n’existait que deux genres, on pouvait encore dire mademoiselle sans s’attirer quelque foudre que ce fût et l’on devait composter son billet soi-même…

Le tortillard s’arrêtait souvent dans des gares dont le nom n’était guère visible. Nous entendions le crissement des freins et le bruit des boggies… Un mouvement sec indiquait qu’on rajoutait des wagons. J’essayais de tirer un peu le rideau, où étions-nous ? Trois coups de sifflet et l’on repartait. Simenon a bien décrit ce que pouvait donner l’impression d’un tel périple dans Le Fou de Bergerac quand Maigret se rend pareillement en Dordogne. Je découvrais pour ma part des noms de ville que j’avais vus sur les cartes de France Vidal-Lablache en école primaire. En ce temps là encore, il était permis de bourrer sa pipe, d’allumer une Gitane maïs ou un Niñas, en voiture fumeurs bien sûr. Les portières ne s’ouvraient ni ne se fermaient automatiquement, on pouvait si l’on voulait, descendre à ses risques et périls, le train en marche, et les fenêtres des compartiments en actionnant une manivelle. Il n’existait pas de climatisation mais nous étions libres alors ! La SNCF nous mettait en garde cependant par ces mots écrits sur des petites pancartes ou gravés dans le verre « Sécurit » : « Ne pas se pencher au dehors ! E pericoloso spogersi !« . Hyères n’était pas affublée non plus de son suffixe « Les Palmiers » et les buffets de gare affichaient complet, dans l’odeur des croissants chauds, de café, d’une pointe de rhum, dès potron-minet.

La dernière étape, assez pénible, se faisait en autobus, où littéralement, nous suffoquions. Mais nous étions si heureux, si impatients de découvrir notre meublé, sur les hauteurs de « Super Lavandou ». Je me souviens m’être perdu dès le premier soir, dans le dédale de chemins et d’escaliers qui y menaient, après avoir acheté la première et dernière pizza à emporter de ma vie. Mes parents étaient aux cent coups de ne pas me voir revenir, la nuit était tombée sans crier gare. Bien vite je délaissai la plage principale du port, qui à cette époque était surpeuplée (ce n’est plus le cas aujourd’hui). Les gens déposaient le matin leur serviette afin de se garantir une place, s’engueulaient pour un oui pour un non, les uns sur les autres. J’avais vu sur une carte qu’il existait une autre grève, ma préférée depuis lors, celle de Saint-Clair qui fait face aux îles du Levant et de Port-Cros. On y descend par une route torse garnies de jolies villas. L’eau y est claire et il ne faut surtout pas manquer d’acheter un masque et un tuba pour découvrir ses profondeurs garnies d’algues et de fleurs sous-marines où glissent entre les pierres et les oursins des milliers de poissons multicolores de toutes tailles et tous plus vifs, insaisissables les uns que les autres.

C’est au Lavandou que j’ai obtenu mon premier numéro de Présent. Un jour, chez le marchand de journaux, je sollicitais Le Méridional, le commerçant m’expliquait qu’il ne vendait que Var Matin et que si politiquement parlant le ton était moins à droite, il n’en demeurait pas moins que les deux titres appartenaient au même groupe de presse… C’est là qu’un brave monsieur m’a refilé son quotidien préféré, encore sous enveloppe. Un autre jour comme je contemplais la mer, j’entendis siffler derrière moi l’air des Lansquenets. Me retournant, je retrouvais la silhouette d’un garçon de mon âge avec qui j’avais lié connaissance un mois plus tôt au centre de sélection N°1 de Vincennes, qui regroupait les engagés volontaires. Vraiment, pensions-nous, le monde est petit ! Et de reprendre en chœur « Ce monde vétuste et sans joie failala !« .

Mais revenons au village si agréable à vivre à l’arrière-saison. Passé le 15 août, le soleil est véritablement plus bas et les ruelles pavées, étroites, charmantes, beaucoup moins garnies d’estivants. Les traiteurs et restaurateurs proposent volontiers une cuisine enracinée, daube de bœuf, pâtes provençales à la couleur si pâle, pan bagnat tout à fait comme il faut, fruits confits d’exception. Voici la maison du Lavandou insolite, face à la mer, comme chante Calogero, des terrasses ombragées, des terrains de terre battue ravinés où l’on joue à pétanque (sous les palmiers et aux sous, figurez-vous, ce qui je crois est interdit).

Il faut bien sûr, en toutes choses, faire preuve de bon sens et de mesure en savourant ces frais vins rosés de Provence, de préférence de Pierrefeu, Brignoles, Bormes, La Londe-les-Maures, Saint-Trospète (ainsi disait Jean Lefebvre dans « Les gendarmes »). Et demeurer toujours ivres. « Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise  », comme le préconisait Baudelaire, mais aussi de soleil, de mer, de vent, d’amour et de souvenirs.

Frédéric Mistral nous a révélé dans son Trésor du Félibrige que l’étymologie de la cité proviendrait du mot lavadou c’est à dire lavoir. Les premiers habitants du hameau de Bormes au XVIIIe siècle (Étienne Pastre, François Antou, Joseph Picas, François Viadou, Carboni…) étaient des pêcheurs génois et catalans habiles pour diriger leurs « pointus » qui naviguent toujours, ça et là. En 1901 le port de pêche du Lavandou était le plus important du département du Var. Ce n’est qu’en 1913 que la commune s’émancipe de l’emprise de Bormes. On parle ici un étrange langage ou tout finit par ou, Lou Lavandou… Lou pescadou nou pas fraichou ? Et le pesto se termine en pistou, zou !

Franck Nicolle

Note : Voulez-vous prendre ce train de nuit vous aussi, avec « Mon ami Maigret » interprété par Jean Richard ? Alors, connectez-vous sur cette adresse et bon voyage au cher pays de la nostalgie.

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Où dormir ? : Hôtel Astria. Dans un petit coin de paradis pardi ! L’emplacement est exceptionnel, le cadre bâti authentique. Une merveille. Vue sur les trois îles depuis une corniche peu fréquentée. Terrasse ombragée, parking privatif.

Où manger ? : Mes souvenirs m’entraînent à Bormes, plage de la Favière, chez feue « Mamie Moules », un personnage qui remuait ses coquillages jusqu’à point d’heure en arborant une grande croix pectorale ostentatoire à souhait. Si vous passez par là, dites le bonjour à ses enfants qui ont repris l’affaire.

Un commentaire

  1. Cher Franck, vous évoquez vos périples, du temps de votre enfance, dans des trains tirés par des locomotives de la série BB 9200. Mais savez-vous pourquoi ces locomotives s’appelaient BB? La SNCF donne une explication technique un peu tirée par les cheveux: cela ferait référence au nombre d’essieux. En fait l’explication est plus simple et plus amusante, je trouve : le directeur de la SNCF était alors un polytechnicien nommé Charles Boyaux. Il choisit sa petite-fille Brigitte pour baptiser, avec la traditionnelle bouteille de champagne, la premlière locomotive de cette série. Ces puissantes locomotves ont donc fait la gloire de la SNCF, dans les années 1960 à 2000, sous le sigle BB qui reprenait en fait les initiales d’une fillette de 5 ans…
    Je tiens l’histoire de cette petite-fille elle même, qui n’a plus 5 ans,, …et vient d’ailleurs de prendre sa retraite. Bien aprés la retraite des BB, soit dit en passant !
    Ils ne sont pas nombreux, les « ferrovipathes » (collectionneurs de trains miniatures) qui connaissent cette anecdote.

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