Les cadeaux de Noël, quel casse-tête ! Un livre, oui. Mais quel livre ?

« Pas de chocolat ! Le chocolat, je ne le digère plus ». « Un abonnement à netflix ? Tu veux ma mort ! ». « Des pantoufles ? C’est comme ça que tu me vois, désormais ? » Et le plus classique : « garde donc ton argent pour toi. J’ai déjà tout ce dont j’ai besoin. ». J’entends déjà ces réflexions de mes parents et de mes oncles et tantes ; ce sont les mêmes tous les ans, à pareille époque. Ils n’arrivent pas à se mettre dans la tête que quand on fait des cadeaux, c’est d’abord pour notre propre plaisir. « Le plaisir d’offrir », comme dit la publicité.

Le casse-tête recommence à chaque Noël et à chaque anniversaire. Tout cela part d’un bon sentiment. Et il est vrai que, passé un certain âge, on a à peu près tout le nécessaire. Mais bon sang, laissez-nous vous offrir quand même des cadeaux !

Coup de chance : j’ai reçu d’amis libraires deux catalogues, et j’ai trouvé de quoi faire des cadeaux originaux : des livres, des vieux livres, que ces libraires – la noblesse du métier – emballeront dans de superbes papiers aux motifs du genre « toile de Jouy », avec un ruban, un « flot, s’il vous plait ». Ils savent, ces grands libraires, ces amoureux du vieux papier, que l’emballage compte presque autant que l’objet emballé.

Bien sûr, je sais déjà ce que va me dire mon vieux papa quand il découvrira le livre, le cadeau que j’aurai amoureusement choisi dans l’un de ces deux catalogues. Il me dira : « La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres ». Cette réflexion morose était presque plausible en 1865, mais qui peut sérieusement, aujourd’hui, prétendre avoir lu tous les livres ? Je sais bien que Mallarmé exprimait ainsi ses états d’âme, et pas l’étendue de ses connaissances livresques ! Je me doute aussi que mon vieux papa n’exprime pas autre chose que le regret du temps qui passe, les feuilles mortes qui se ramassent à la pelle, comme chantait Yves Montand.

« Le martyre de l’obèse », pour mon père, qui est maigre comme un coucou

Mes cadeaux, je vais donc les choisir dans le catalogue de la librairie lyonnaise du scalaire, un catalogue tout entier consacré à Henri Béraud. Le libraire a fait preuve d’une remarquable érudition dans la description des vieux grimoires proposés à la vente. Qui plus est, il a déniché des raretés bibliophiliques inouïes. Par exemple ce recueil de poèmes, publié en 1903 à une centaine d’exemplaires seulement. Ce sont les premiers textes imprimés du grand polémiste du XXe siècle. Mon père n’adore pas la poésie (même s’il lui arrive de citer Mallarmé). Aussi je pense qu’il aura plus de plaisir à recevoir Le martyre de l’obèse dans l’édition illustrée par Gus Bofa. Ce roman (une pochade, disait Béraud lui-même) faisait tordre de rire mon père, qui était et reste maigre comme un coucou. Il nous en lisait des extraits, quand il était plus jeune. J’ai repéré dans le catalogue un très bel exemplaire sur hollande. Je sais qu’il sera quand même sensible à ce choix.

Pourquoi des noms d’emprunt ?

Mais voici un autre catalogue, magnifiquement mis en page par le libraire Eric Fosse, qui tient commerce à Paris, dans le 17e arrondissement. Sous le titre « Le masque et la plume », il propose, en 500 lots, une extraordinaire sélection de livres signés par de grands écrivains sous couvert de leurs pseudonymes. Il y a évidemment des pseudos célèbres : Cécil Saint-Laurent, pour Jacques Laurent, Emile Ajar pour Romain Gary, Simenon et ses nombreux pseudos etc. Ici nous sommes déjà moins dans la bibliophilie que dans le jeu.

Qui était Fabrice Laroche ? Alain de Benoist, en fait (trois titres proposés). Quel est l’auteur de la plaquette à la gloire de Pierre Laval parue en 1942 ? Elle n’est pas signée, il s’agit en fait de Paul Morand. Le « Journal d’un condamné à mort », publié en 1948 chez Plon (du temps béni où Henri Massis y faisait la pluie et le beau temps) est signé de XXX. Il avait été écrit par Robert Poulet, et était purement et simplement autobiographique.

Pourquoi ces écrivains prenaient-ils des noms d’emprunt ? Les raisons sont multiples. Il y avait ceux qui étaient en délicatesse avec la justice (ce qu’on appelait la justice, après la guerre…). Ils n’avaient pas le droit d’être publiés et devaient donc se dissimuler. On pense à Ralph Soupault ou à André Thérive, mais d’abord à Robert Brasillach, publié clandestinement sous le nom, évident, pourtant, pour qui connait son œuvre, de Robert Chenier.

Les meilleures plumes de la droite littéraire

Beaucoup d’écrivains se sont aussi essayés au polar et à diverses formes de littérature populaire. Ils semblaient craindre que cette littérature dite de gare ne nuise à leur image (Boris Vian, Jacques Laurent, Denis Tillinac…). C’est pourquoi le catalogue comporte un grand nombre de romans policiers. On trouve aussi plusieurs ouvrages publiés dans la « Série blonde », série caractérisée par un dessin de couverture signé d’Yves Trémois et par des textes qui se voulaient ollé ollé (mais qui ne l’étaient guère). Les pseudonymes fantaisistes cachaient bien souvent les meilleures plumes de la droite littéraire du moment : Michel Déon, François Brigneau, François Nourissier, Robert Poulet, Willy de Spens, Philippe Jullian, Françoise Mallet-Joris…, car l’éditeur n’était autre qu’Horace de Carbuccia, le fondateur de l’hebdomadaire Gringoire.

C’est dans ce catalogue que je vais puiser mes idées de cadeaux pour mes frères, mes neveux et nièces. Cela devrait les amuser.

Madeleine Cruz

Librairie du scalaire, Marc Malfant, 10 rue des Farges 69005 Lyon librairieduscalaire@orange.fr

Librairie Fosse 12 rue Puvis de Chavannes 75017 Paris librairiefosse@orange.fr

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