Nous sommes en 1993 : qui mieux que Jean-Marie Le Pen peut postfacer La Mort en face quand François Brigneau décide de rééditer l’ouvrage ? Il me demande d’aller interviewer Jean-Marie à Montretout, et c’est avec beaucoup d’enthousiasme que le fondateur du Front se souvient de la parution de la première édition.
En effet, le bureau occupé par les éditions du Clan, lancées par François dans les années 60, se situait dans l’immeuble de la rue Quincampoix pris à bail par Jean-Marie, siège de sa société Le Cercle du Panthéon et du Bivouac du Grognard de Roger Holeindre.
La présentation qu’a préparée François Brigneau pour la réédition de cet ouvrage, paru pour la première fois en 1967, porte un bandeau : « Un livre pour TOUS les Français qui ont donné leur vie pour la France », qui correspond parfaitement avec la vision « unitaire » de Jean-Marie. Y sont mêlées les dernières lettres de condamnés à mort de la Résistance, de la Collaboration et de l’Algérie française, comme se retrouvèrent au Front national des Français honorables de tous les camps. Le Pen m’en parle avec émotion : « La lecture d’un livre comme celui-là peut profondément influencer, bouleverser et amender ceux qui le lisent. […] J’ai encore eu les larmes aux yeux en le lisant. J’ai été profondément ému, et j’ai admiré que ceux qui n’étaient pas poètes, comme avait la chance de l’être Brasillach, ou ceux qui n’étaient pas cultivés, arrivaient, en griffonnant un message d’adieu, à trouver des phrases magnifiques. »
Trois Bretons
2018 : Jean-Marie me reçoit à nouveau à Montretout, 25 ans plus tard, pour me parler cette fois de François Brigneau et de Jean Madiran, auxquels j’ai décidé de consacrer un hors-série de Présent. Entre deux caractères aussi forts que l’étaient François et Jean-Marie – deux Bretons ! –, il ne pouvait pas ne pas y avoir de brouilles, et il y en eut. Jean-Marie n’était pas venu au cimetière saluer une dernière fois son vieil ami, en avril 2012. J’ose lui poser la question à la fin de notre entrevue. « Non, parce que notre rupture avait été trop brutale, trop définitive », me répond-il. Puis il ajoute : « Ah j’aurais dû ! Aujourd’hui j’irais. […] Mon Dieu, si je n’ai qu’un regret, c’est celui de ne pas l’avoir accompagné jusqu’au bout… » Et lorsque je lui porte des exemplaires imprimés du hors-série, je constate combien il en est profondément touché. La page est enfin tournée, dans le pardon et l’amitié, et je suis heureuse d’en avoir été le truchement.
Courage, fougue dans le combat, finesse politique, vivacité dans la répartie, lucidité (« on lutte pour des principes et non pour des princes »), profonde connaissance des hommes, intelligence dans la guerilla (dans ce qui était pour Le Pen le marigot politique), c’est à Cadoudal, un autre Breton – son condisciple à travers le temps au collège jésuite de Vannes –, que m’a toujours fait penser Jean-Marie. Je le lui avoue lors du dîner fêtant la remise de son prix des lecteurs de Présent, en janvier 2019. « Mais lui est mort à 33 ans », me fait-il alors remarquer. La réponse fuse : « C’est vrai, pas vous ! Et heureusement pour nous ! »
Anne Le Pape