patrimoine

Des lieux où souffle l’esprit : Consolation Maisonnettes…

Quel drôle de nom que ce village ! Mais quelle belle approche sémantique et quelle juste vision, quelle consolation vraiment ! Je n’aurais jamais eu l’idée de m’étourdir dans cette reculée franc-comtoise pierreuse, profonde, boisée, chevelue, dont la route qui y mène est sinueuse, longue, interminable, improbable… et déserte, si mon amie Mireille Oster, experte en pain d’épice, ne m’en avait indiqué le chemin. Pourvu de son conseil, de ses prières muettes, j’ai pris la voiture seul, sachant par avance que tout le long du voyage je serais accompagné jusqu’au bout, jusqu’au jardin du curé, jusqu’à la porte ouverte inutile et sans murs.

Il n’y a guère qu’une route qu’y mène, la D39 qui longe le Dessoubre parmi d’autres rus sans nombre et une bifurcation sur la D377 qui mène aux « plages » et aux cascades chantantes, envoûtantes, rafraîchissantes du Tabourot et du Lançot.

Les arbres sont hauts, d’un vert profond, touffus et conifères, la terre est garnie de fougères et de lierres sans feuilles qui poussent en longues lianes stériles. Nul oiseau n’ose pousser son cri. On entend le bruit de l’eau qui court sans pour l’instant la voir apparaître. On subodore le chant des feuilles pourtant immobiles sur leurs cimes. Sapristi ! La forêt serait-elle donc enchantée ? Au bout d’un moment je me demande quand même. La brume vient. Je n’ai pas, ni jamais eu de GPS ni de téléphone portatif, qui de toute façon manqueraient de répondre au secours . Le silence règne. Le silence si rare sur cette terre, celui de la solitude, essentiel. Même les pas sur les cailloutis se révèlent sans son, comme chantait Véronique.

Les villes les plus proches, Maîche, Morteau, la Chaux-de-Fonds en Suisse voisine, de l’autre coté Besançon, vieille ville espagnole selon Victor Hugo, sont assez loin d’ici. La falaise jurassique, abrupte et sans mer, me rappelle cette vue sur le Vercors depuis la cour d’honneur du Quartier de Reyniès qui abrite le 7ème BCA et le 93ème RAM, arme où officièrent les Béraud, père et fils. Mais revenons dans ces reculées comtoises, à trépas compté comme chantait Pierre Dudan.

Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat… Cette sentence de Gaston Leroux (« Le mystère de la chambre jaune »), me vient tout de suite à l’esprit. Et les herbes et les simples n’ont pas renoncé à refleurir sans présence par corps des pères et des séminaristes. Au contraire, les essences tenaces prolifèrent en désordre et les espèces envahissantes se répandent sans joug. C’est l’anarchie des herbacées et des bulbes comestibles que le bon Dieu se charge à lui seul de jardiner. Jamais maisonnette n’aura reçue aussi jolie consolation.

Pourtant que la montagne est belle… mais les gens sont partis. Les maigres effectifs, les habitants, 113 en 1793, 24 en 2022 sont appelés assez poétiquement, Domoconsolantains. Ils vivent véritablement en communauté, selon le concept sociologique de Ferdinand Tönnies, et mangent mieux que nous, les citadins… De brési, de cancoillotte, de fumé, en levant le coude dans des verres ordinaires remplis de jolis vins d’Arbois chantés par Jacques Brel à son dernier repas. Leurs foyers jouxtent les reliefs monumentaux d’un ancien séminaire conçus pour contenir une armée toute entière de moines soldats placés sous le regard d’un tout petit clocher comtois.

D’autres sont venus par ici…

D’autres sont venus par ici, Dont les noms sur les murs moisis / Se défont déjà et s’écaillent ;
/ Ils ont souffert et espéré, Et parfois l’espoir était vrai, Parfois il dupait ces murailles. Je veux parler, en citant mon ami Brasillach, de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif qui fait un travail remarquable pour restaurer le site au mieux de ses maigres moyens et qui a pris la succession d’une association de type 1901. Le gros oeuvre a été opéré et c’est de la belle ouvrage puisque l’on peut dorénavant loger au monastère. Certaines chambres ont des douches et des toilettes communes et alors ? Sur Tripadvisor, des fâcheux chipotent à propos de crottes de souris, de toiles d’araignées, d’abeilles, de chiens, de quels chats à fouetter et que sais-je encore ? C’est rustique, c’est ce qu’il faut ! Nous en avons soupé du « Progrès », du confort, et de toutes ces impostures. Vive la roche, vive l’eau, vive la forêt ! Et à Dieu va Consolation !

Inscrite aux Monuments historiques, l’église renferme le tombeau en marbre du sire de Varambon. Elle peut être visitée. Le monastère fut construit vers l’an 1500 et la chapelle au XVIIème siècle. Elle est pleine de mystère, ouvragée, munie de voûtes lumineuses à dextre et à senestre précédant le maître-autel entouré de quatre colonnes. Les bancs de messe sont en bois brut munies de leurs agenouilloirs de très vieille étiquette. Plaise à Dieu que les bénitiers soient pourvus en eau consacrée, c’est de plus en plus rare dans les chapelles et les églises de nos jours, la farce du Covid étant passée par là.

C’est dommage, mais s’il n’y a pas d’eau, trempez vos doigts quand même dans le bénitier sec, comme l’on fait nos pères et nos mères avant nous, c’est le geste qui compte. Le socle touché cent mille et cent mille fois par des gens pieux et humbles est tout garni de leur âme et de la Communion depuis le fond des âges, celui des Francs saliens.

Franck Nicolle, Franc salé !

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(2 commentaires)

  1. Ah, cette Consolation ! Si jy avais un verre dArbois, je le levais à ces Domoconsolantains et à leur communauté qui mangent mieux que nous. Bien sûr, on sattend à ce que les reviewers de Tripadvisor réclament des chats à fouetter et des douches super louches. Cest la rusticité, vive-la ! Léglise mystérieuse avec son tombeau et leau consacrée (si elle existe toujours, après le Covid et tout ça) est une autre histoire. Toujours mieux vaut tremper ses doigts dans un bénitier sec, non ? Cest le geste qui compte, comme disent nos pères et mères. Vive la roche, vive leau, vive la forêt, et vive cette belle solitude !golden vow

  2. Cest drôle, ce commentaire sur TripAdvisor ! Crottes de souris, toiles daraignées, abeilles… et on y va pas moins ! Rustique, cest ce quil faut ! On comprend que les Domoconsolantains, ces 24 résidents, savent depuis fort longtemps que le confort est une imposture. Ils nont pas besoin de Tripadvisor pour savoir que vive la roche, vive leau, vive la forêt ! Lâme de ces murs moisis, ça se sent, pas besoin de Google Maps. Laissons les citadins sextasier sur lauthenticité de leau bénite (ou du geste, disons ça comme ça). Lhistoire, les vins dArbois, le chant de Véronique… tout y est, même si les chiens et les chats parfois se mêlent aux touristes curieux. Vive la Consolation, vive la vie simple !

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