Le 7 mai 2022, Shanti De Corte s’est éteinte, entourée de ses proches. Elle avait 23 ans. Cette jeune Belge faisait partie des victimes des attentats de Bruxelles de 2016. Elle n’est pas morte des suites de ses blessures, mais d’une injection létale accordée pour « souffrance psychique » insurmontable. La jeune femme était dépressive avant les attentats. Cet événement dramatique n’aura fait que renforcer son mal-être qu’aucun médecin n’a su prendre en charge et accompagner. Devant cet échec, la médecine belge a validé sa demande d’euthanasie et l’a tuée.
Quelques mois plus tard, le 13 septembre, c’est le cinéaste Jean-Luc Godard qui mourait, en Suisse, après avoir eu recours, lui aussi, au suicide assisté. Il n’était pas malade, simplement « épuisé », d’après ses proches. Un épuisement qui justifiait, à ses yeux, une demande d’euthanasie.
C’est ainsi que l’on nous vend, jour après jour, semaine après semaine, le roman d’une mort désirable, de la « belle mort », qui n’a rien à voir avec celle qu’espéraient les chrétiens du Moyen Âge ou de l’époque moderne. Au XXIe siècle, il s’agit d’une mort choisie, programmée, vue comme une délivrance. Parce que souffrir n’a plus aucun sens dans cette époque adoratrice des plaisirs. Aujourd’hui, monsieur Tout-le-monde doit pouvoir tout choisir, même sa mort. Ce serait l’ultime preuve d’une « liberté » humaine qui n’a même plus besoin de Dieu pour quitter cette vie.
Une mascarade de débat
En France, l’étau se resserre et la légalisation de l’euthanasie – rebaptisée « droite à mourir dans la dignité », pour les âmes sensibles – pointe le bout de son nez. Emmanuel Macron l’avait évoquée lors de son précédent mandat. Il se fait désormais plus insistant. Il y a eu cette petite phrase lancée à Line Renaud, fervente défenseur de l’euthanasie, lors de la remise de sa grand-croix de la Légion d’honneur, en septembre dernier : « Votre combat pour le droit à mourir dans la dignité nous oblige. […] c’est le moment de faire, alors nous ferons. » Puis cet avis rendu par le CCNE, le 13 septembre, jugeant possible une légalisation de l’euthanasie : « Il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger. » On connaît la suite. En brisant un interdit – celui de donner la mort –, la loi crée une brèche et se trouve impuissante à contenir les abus. La Belgique, que l’on donne souvent en exemple, le sait bien, les dérives n’y manquant pas. Elle vient d’ailleurs d’être montrée du doigt par la CEDH – pourtant favorable à l’euthanasie – car sa commission de contrôle des euthanasies pratiquées s’avère défaillante.
Dans la foulée de la publication de l’avis du CCNE, le président de la République a annoncé une vaste consultation citoyenne sur la fin de vie. Le 25 octobre ont été lancés les tirages au sort qui doivent mener à la sélection des 150 « citoyens » représentatifs autorisés à donner leur avis sur le sujet… Le tout pourrait déboucher sur une loi, à l’horizon 2023, chuchote-t-on dans les couloirs de l’Élysée.
Pourtant, en octobre, au retour d’un voyage au Vatican lors duquel Emmanuel Macron aurait abordé le sujet avec le pape François, le chef de l’État semble faire marche arrière. « Je n’ai jamais parlé d’euthanasie mais de fin de vie », se défend-il dans un article de La Vie. « Je n’aime pas que l’on parle d’euthanasie, déclare-t-il dans Le Figaro daté du 25 octobre. Pour moi, la mort n’est pas une question technique. Ce qui est en jeu, c’est la dignité de la vie. » Énième tour de passe-passe du « en même temps ». La rhétorique et le vocabulaire ne trompent pas : ils sont les mêmes que ceux employés par les promoteurs de l’euthanasie pour qui seule une mort choisie peut être digne. Emmanuel Macron prétend ne pas vouloir une loi à tout prix, mais encourage en coulisse son avènement. La machine est lancée. Ce prétendu débat est surtout là pour faire semblant d’accueillir le consentement d’un peuple à qui on lave le cerveau depuis des années, à grands coups d’histoires tristes, dont l’euthanasie est montrée comme la seule fin enviable et digne.
Voix discordantes
Pourtant il y a des voix discordantes. Des associations comme le collectif Soulager mais pas tuer qui se bat contre cette possibilité d’une loi autorisant à donner la mort et qui a organisé une soixantaine de rassemblements à travers toute la France pour la journée de lutte contre la douleur, le 18 octobre. Contrairement à ce que veulent faire croire les promoteurs de l’euthanasie, celle-ci n’est pas une évidence et surtout n’est réclamée que par une infime minorité. C’est d’ailleurs ce que laissent transparaître les témoignages de patients et de soignants. On pourrait citer Philippe Pozzo di Borgo, parrain de Soulager mais pas tuer, rendu célèbre par le film Intouchables racontant son histoire, qui répondait au Journal des femmes : « La détresse profonde dans laquelle se trouvent certaines personnes ne demande pas d’être interrompue, mais d’être soulagée, accompagnée. » Et il continue : « L’euthanasie reflète une collectivité qui se délite et démissionne. Demander qu’on vous débranche, n’est-ce pas dénoncer l’incapacité d’une société à apporter le réconfort à l’extrémité de la vie ? » Il y a aussi le témoignage poignant, dans Le Figaro du 14 octobre, de ce haut fonctionnaire atteint de la maladie de Charcot, mais bien pris en charge grâce aux soins palliatifs, heureux de vivre malgré le handicap et l’évolution de son mal : « Chaque instant a sa valeur », affirme-t-il. « Si j’avais été conforme à ce que je pensais avant ma maladie, j’aurais peut-être pris la décision en janvier d’aller en Suisse ou en Belgique. Une décision radicale et trop rapide. »
Et que dire de l’inquiétude des soignants et de leurs patients devant cette euthanasie qu’on annonce comme une délivrance mais qui, pour eux, va rapidement se transformer en une injonction à quitter cette vie pour ne pas être un poids ? Alexis Burnod, chef de service de soins palliatifs à l’Institut Curie, s’inquiète dans une tribune : « La demande ultra-majoritaire est d’être aidé à vivre malgré la maladie, et garder une place dans la société. » Et il continue : « Nous sommes parfois démunis face à une famille réclamant avec force que tout s’arrête alors que la personne malade ne nous le réclame jamais. »
Qui écouter dans ce cas ? Le malade ou sa famille ? L’accompagnement de la personne en fin de vie ? Ou la charge financière que cela représente ? Car le côté financier, s’il est peu abordé, n’est pas absent du débat. Dans un article publié sur son blog Koztoujours, Erwan Le Morhedec – auteur du livre Fin de vie en République – pointe du doigt la « lourde insistance » des mutuelles de santé dans les discussions qui naissent autour de l’euthanasie. Il y parle d’un débat organisé par la Mutualité Française, où ne se trouvaient que des défenseurs de l’euthanasie. Curieux. Dans une tribune publiée le 16 septembre dernier dans le journal La Vie, le président de la Mutualité Française s’est dit pour « une aide active à mourir », pour ne pas dire euthanasie. L’ancien président de la même mutuelle, Thierry Beaudet, a également signé une tribune le 16 janvier 2020 – alors qu’il était encore à la tête de la Mutualité Française – dans laquelle il se montre extrêmement ambigu sur le sujet. Il suggère même la possibilité pour les mutuelles de créer des lieux dédiés à l’euthanasie…
La pente est glissante et le jeu joué par le chef de l’État dangereux. Si le gouvernement avalisait un « droit à mourir » qui serait davantage un « permis de tuer », la pression exercée sur les personnes en fin de vie ou gravement malades serait énorme. « Le droit de mourir bascule vite en devoir social », prévient Tugdual Derville, dans Famille chrétienne du 21 septembre dernier. Avec toutes les dérives que l’on peut voir déjà chez nos voisins belges. •
Anne Isabeth