Kopera

L’anticonformisme dans l’art : un tableau sans titre de Kopera

Certains tableaux sont le reflet de leur temps. Se pliant aux modes passagères, ils sont loués par les contemporains mais tombent finalement assez vite dans l’oubli. D’autres tableaux, au contraire, parce qu’ils expriment ce qui est constant dans la nature humaine, acquièrent ce caractère intemporel qui leur permet de défier les siècles et de postuler au rang de chef d’œuvre.

Né le 5 février 1976 à Kożuchów en Pologne, Tomasz Alen Kopera est un artiste autodidacte qui peint à l’huile sur toile des œuvres où l’on décèle l’influence de peintres académiques, symbolistes ou surréalistes polonais, mais aussi du Suisse Hans Ruedi Giger, de l’Allemand Caspar David Friedrich ou encore du Français Gustave Doré.

Les œuvres de Kopera nous interpellent. Parce qu’il puise son inspiration tant dans la nature humaine que dans les mystères soit les plus sombres, soit les plus lumineux de l’univers. Mais aussi parce que le peintre a renoncé à les éclaircir, à les commenter, et même à les identifier. Il s’en est expliqué ainsi : « Parfois le message de ma peinture est très clair, je pourrais lui donner un titre, mais je ne veux pas, je ne veux pas le nommer, je préfère le laisser au spectateur – pour qu’il puisse lire le message, réfléchir dessus, donner à mon travail son propre titre et son histoire. Les gens me demandent souvent de parler de mon travail, mais je dis toujours que si je pouvais décrire mes peintures, j’écrirais au lieu de peindre. Je ne peux pas interpréter mes peintures à travers les mots, je ne sais pas comment faire ça. La chose la plus importante dans tout cela est le message, et il atteint le spectateur non pas à travers les mots, mais à travers la peinture. C’est pourquoi la plupart de mon travail est sans titre – je laisse cela au spectateur[i]. »

On l’a compris, Kopera ne raconte pas ; ce sont ses œuvres qui nous parlent, et c’est à nous qu’il revient de les interpréter, en écoutant notre sensibilité, en nous remémorant notre expérience ou encore en puisant dans notre savoir. L’une d’elles, en particulier, parce qu’elle suggère la réaction naturelle d’un esprit libre face au conformisme, s’inscrit autant dans l’actualité politique qu’elle suggère le mythe immortel de Procuste.

Appartenant à un collectionneur privé[1], ce tableau de 71 x 91 cm se lit de la gauche vers la droite et de l’arrière-plan vers le premier plan, mais le sens de lecture est rompu au milieu de la toile par un mouvement dissident mis en évidence par une coloration plus chaude. Sous le ciel qui s’assombrit au fur et à mesure qu’elle avance, une foule d’individus marche en colonnes et en rangs, rappelant le déplacement militaire d’une troupe en ordre serré où la liberté individuelle disparaît au profit de la discipline et de l’uniformité. La soumission des individus au conformisme est entière : tous marchent dans la même direction, tous occupent la place qui leur a été assignée, tous portent les mêmes mornes vêtements uniformes. Surtout, les traits de leurs visages se sont effacés.

Cela rappelle la description des enfers du XIe chant de l’Odyssée : jamais le soleil ne darde le moindre rayon sur le pays des Cimmériens qui conduit à la « mort noire » ; quand il a versé ses libations, Ulysse aperçoit une troupe de morts sans noms et sans visages parce que la mort fait perdre aux hommes leur identité et leur individualité[2]. Comme la soumission au conformisme conduit à renoncer à sa personnalité, à ses aspirations, à ses rêves…

Le centre du tableau présente cependant une rupture. Un individu s’arrache à la fange du conformisme et présente un aspect transfiguré. Représenté par une coloration plus chaude, son image est comme éclairée par la lumière de l’arrière-plan. Ses jambes, ses bras, ses mains apparaissent nettement, affirmant son individualité. Surtout, les traits de son visage dévoilent son identité et expriment l’effort qu’il accomplit pour recouvrer sa liberté. On pourrait en déduire que le conformisme assure un certain bien être, même s’il conduit à la mort, tandis que le choix de la liberté, plus difficile, exprime la volonté de vivre.

Et vivre n’est pas nécessairement s’opposer. Le tableau montre que l’anticonformiste ne remonte pas le chemin à contre-courant. Il ne cherche pas non plus à contrarier la marche des soumis, ni à les convaincre. Simplement, il choisit une autre voie. Peut-être suivra-t-il son chemin de vie, même si la route est escarpée, pour préserver sa personnalité et sa liberté, car comme il est écrit dans l’évangile de Mathieu : « Entrez par la porte étroite, car large est la porte et spacieux le chemin qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui entrent par lui ; car étroite est la porte et resserré le chemin qui conduit à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent ».

André Murawski

[1] In https://www.facebook.com/277880602372514/posts/deserter-by-tomasz-alen-kopera-oil-on-canvas-created-in-2004-size-71x91cm-28x36i/1682353831925177/

[2] In Luc Ferry, L’Odyssée, ou le miracle grec, Le Figaro, Plon, 2015

[i] In https://pl.wikipedia.org/wiki/Tomasz_Kopera

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