Fabien Roussel est-il le Jacques Doriot du XXIe siècle ? La question est posée publiquement depuis que Mélenchon et sa très proche collaboratrice, Sophia Chikirou, ont établi en parallèle entre l’homme politique de la première moitié du XXe siècle et l’actuel secrétaire national du PC.
Mercredi dernier, la député LFI Chikirou a en effet diffusé des propos polémiques dont elle n’était pas l’auteur, qui établissaient un parallèle entre le dirigeant communiste d’aujourd’hui et le politicien d’hier.
Rappelons qu’en 1934, Doriot, qui était l’un des principaux dirigeants du PC « F » (totalement inféodé à Staline, selon le schéma mis en place par la IIIe Internationale)) fit scission du parti, pour se rapprocher de la gauche non communiste, dans un premier temps, et évoluer par la suite dans le sens d’un front anticommuniste, pour finir, plus tard encore, par combattre physiquement le bolchevisme, sur le front de l’Est.
Le texte diffusé par Chikirou expliquait que cette « doriotisation » du communiste Roussel découlait d’une volonté de séduire les électeurs marinistes et zemmouriens. « Il y a du Doriot dans Roussel », résumait Chikirou.
Loin de désavouer sa très proche collaboratrice, Mélenchon en a rajouté une couche, en diffusant à son tour la publication de Chikirou, montrant ainsi qu’il partageait totalement cette vision. Simpliste.
La radicalisation de LFI et du couple politique Mélenchon-Chikirou, cette attaque contre Roussel et son PC « F » trouvent leur origine dans de récents sondages qui montrent que Roussel est désormais plus populaire que Mélenchon, à gauche. Dans un parti aussi césarien que LFI, le dévissage de Mélenchon met en danger le parti. Mais que LFI se rassure (s’il le peut encore), ce ne sont pas les sympathisants et électeurs de Marine Le Pen ou d’Eric Zemmour qui font actuellement émerger la popularité de Roussel, mais ceux de la France dite insoumise. D’un côté vous avez un parti qui semble courir après les votes islamistes des banlieues, de l’autre vous avez un groupuscule (ce qu’est devenu, -Dieu soit loué-, le PC) dont le chef Roussel se construit une popularité en prenant à contre-pied les délires wokistes, sur les barbecues, la consommation de viande, les femmes voilées etc.
Doriot visionnaire
La scission doriotiste reposait, elle sur des divergences d’un tout autre ordre : à l’origine on trouve un désaccord majeur entre Moscou – qui prônait une stratégie « classe contre classe », rejetant de fait les socialistes dans le camp « réactionnaire » et « bourgeois » -, et Doriot et ses amis, adeptes d’un front antifasciste très large, face à l’Allemagne. Autrement dit Doriot (visionnaire, quand on pense au Front populaire de 1936) était favorable à l’unité des gauches, tandis que Staline et le très obéissant Thorez préconisaient la pureté communiste, espérant encore une révolution mondiale à venir.
Nous sommes donc vraiment loin des divergences Mélenchon-Roussel, LFI-PC.
Par ailleurs les doriotistes préconisaient le pacifisme, selon une tradition très ancrée dans l’extrême gauche française, alors que les communistes de 1934 (et de 1936 plus encore, avec la guerre d’Espagne) jouaient les va-t-en-guerre
Qui plus est (et c’est ce qui explique en grande partie l’évolution radicale ultérieure de Doriot), « le grand Jacques » s’opposait aux rapprochements entre l’URSS et l’Allemagne nationale-socialiste, qui s’amorçaient, et qui trouvèrent leur conclusion dans le pacte de non-agression Ribbentrop-Staline du 23 août 1939, un pacte curieusement oublié du « roman national-communiste » bâti par la gauche., comme de nos manuels scolaires.
Pour le Doriot de 1939, Hitler et Staline sont donc désormais, l’un comme l’autre, des ennemis de la France. Tandis que les staliniens commencent des actions de sabotage dans les usines françaises d’armement, tandis que la famille de Guy Moquet distribue des tracts pacifistes – et donc, de fait pronazis et pro-staliniens – Doriot est mobilisé, et les militants du PPF sont incités à défendre le pays. Le sergent-chef Doriot sera d’ailleurs décoré de la Croix de guerre avec citation à l’ordre du corps d’armée, pour sa participation aux combats de mai 1940.
Reductio ad hitlerum
Quel rapport peut-il bien exister entre la figure du « grand Jacques » et celle d’un Mélenchon ou d’un Roussel ? Aucun. Les deux extrémistes de gauche sont englués dans une rivalité électoraliste, quand Doriot réagissait à des évènements géopolitiques d’ampleur mondiale.
On l’a bien compris, le parallèle entre Roussel et Doriot n’a aucun sens historique ou idéologique, il s’agit simplement de salir Roussel (ou de salir Mélenchon en tirant parti de cet insoutenable parallèle) en soulignant l’évolution d’un homme qui commença communiste pour finir en allié du IIIe Reich.
Le raccourci du duo Chikirou-Mélenchon met notamment entre parenthèses les sept années qui ont conduit Doriot à devenir un allié des Allemands à partir de l’opération Barbarossa, en juin 1941, des Allemands qui occupaient, certes, à cette époque, et depuis un an, la plus grande partie de notre pays.
Le reductio ad hitlerum est devenu une machine infernale qui désormais frappe jusqu’à ses plus fervents promoteurs, qu’ont toujours été Roussel et Mélenchon.
Agathon