Novembre

Table d’hôtes: Avant la fin… Avant l’Avent, novembre!  

C’est le mois où la plante meurt et se décompose, le mois des Barabli que l’on prononce en alsacien Poropli — parapluie en alsacien, mais Regenschirm en allemand, quelle différence… comme l’a expliqué Germain Muller. C’est le mois des brouillards et de la nuit précoce (on change d’heure le dernier week-end d’octobre) et le neuvième temps du calendrier romain, comme son nom l’indique. C’est le mois où les hérissons qui sont mes amis creusent leur « trou individuel de combat » ou plutôt d’hivernage.  

Corbeaux, hérissons et saint Martin 

Sur le chemin du travail, je les rencontre à la faveur de la nuit, ils sont si mignons et si doux, si imprudents aussi. Roger Holeindre, son lieutenant Philippe, et le gros Guy (tous paras et commandos de choc !) ne supportaient pas qu’on les ramène au château de Neuvy pour les montrer aux enfants, à cause des puces aussi nombreuses sur eux que peuvent l’être leurs épines acérées. Le hérisson n’est heureux qu’en indépendance, pareil au petit poussin qui brise sa coquille, et pour qui peu de choses lui manque pour crier « Je suis libre » (ainsi parlait Charles Maurras. Mes idées politiques. Fayard). Il est si sot qu’il ne pense qu’à réconforter son petit corps qu’il croit si armuré, sur l’asphalte des routes surchauffées, et meurt trop souvent écrasé sous les pneus des automobiles, ce qui est bien triste. Sauf pour les corbeaux, Hugin (“Esprit”) et Munin (“Mémoure”), les pies nécrophages se nourrissant de la même façon que dans le triste poème de François Villon. C’est le mois de l’été de la Saint-Martin, courte période de jours plus chauds qui se situe autour de la fête patronyme, le 11 novembre. Alors, un nuage de poussière stellaire tourne autour du soleil notre emblème, comme on chante à « L’Œuvre Française », et nous renvoie, par réflexion, des rayons supplémentaires. Ce même nuage, six mois plus tard, en faisant écran, est cette fois responsable des « saints de glace », ces jours froids du mois de mai. 

La gloire du baeckeoffe  

Voici venu le temps des rires et des chants comme dans l’île aux enfants ! Le temps de martiner, faire la vie, comme en Touraine où l’on mange les châtaignes grillées avec du vin nouveau. Dans les vergers poussent et tombent ces bogues piquantes et nourrissantes à souhait qui faisaient le bonheur des farces d’Arpagon. Séchées, écorcées, moulues, on en tire des farines souveraines pour confectionner quelques pains d’épices (ceux de la conserverie Mathilde Cruz de Concarneau sont excellents) et autres bredeles (petits gâteaux, macarons et biscuits alsaciens de l’Avent), une confiture à la vanille (bourbon bien sûr) ou un gâteau corse qui accompagnera idéalement une dégustation de fromages et de charcuteries. Le coing, les dattes, les figues, les noisettes, poires et pommes sont des produits de saison bien utiles pour escorter des recettes de gibier ou de foie gras ou pour réaliser un pain de fruits roboratif à souhait, bierewecke dans le Bas-Rhin, beeraweckadans le Haut-Rhin (en général les recettes se terminent par « e » en Outre-Forêt, Alsace bossue, Kochersberg, mais en « A » dans le Grand Ried colmarien, la Hardt ou l’Ochsenfeld). Les bredeles susdit seront écrits et prononcés bradalas dans le Haut-Rhin, les maneles (bonhommes briochés de l’Avent) se transformeront en manalas, le baeckeoffe en baeckaoffa… Hop là !  

En voilà bien un plat du moment. Il réjouit tous les palais, des plus mondains aux plus canailles. Madame la sous-préfète des Vosges s’en régalait chez moi, ainsi que l’ancien député PS Franqueville ou le député républicain Jean-Jacques Gaultier tout comme les grands directeurs et grandes directrices mondiales de Nestlé-Waters (eaux de Vittel, Contrex, San Pellegrino…). Chaque saison le restaurant était privatisé pour ces derniers quand le malheur arriva ! Le baeckeoffe se sert généralement dans une verrine ad hoc (www.poterie.alsace) qui n’est pas éternelle et se révèle fragile. Nous faisions le service à la russe ou au guéridon et le maître de maison de poser le sarcophage imposant, tout remplis de chaleur sur une surface froide. Le choc thermique fut fatal. On entendit clac, le moule encore chapoté par son couvercle en terre cuite vernissée se fendit en deux, le jus se répandis sur la nappe, la table et sur le sol sous les regards stupéfaits et les clameurs mezza voce, sous les narines alléchées des augustes invités. Ils se signaient à la seule pensée de devoir souper d’autre mets. Heureusement j’ai plus d’un tour dans ma sacoche, un second plat arriva sans encombre, offrant aux gourmets la promesse de cette douceur si simple à réaliser (trois sortes de bas morceaux de viande coupée en cubes, de bœuf, veau, agneau que l’on fait mariner dans du vin blanc, des épices, du laurier, des bulbes, et que l’on superpose sous des couches de pommes de terre, de carottes émincées gros dans un récipient à hauts bords et que l’on cuit au four, à couvert, tout doucement pendant des heurrrrres. C’est surtout un bon plat très chrétien ! On le traduit par « potée boulangère » puisqu’elle était naguère cuite au four du boulanger, de bon matin pendant la messe ! Le boulanger faisait son pain, le défournait et les femmes apportaient leurs plats au fournil à l’heure du premier office. A midi c’était prêt ! pour éviter l’inconvénient qui m’est arrivé, utilisez plutôt un plat en fonte d’aluminium muni de son couvercle. Ce plat unique est accompagné généralement de salade verte et de riesling ou de pinot noir frais. 

La saison des plats enracinés 

Ça sent l’hiver ! Rien de mieux que ces plats uniques enracinés et conviviaux comme la bouillabaisse, dont la meilleure est celle de Martigues selon Charles Maurras (on trouve en ce moment de la barbue, de la sole, tout ce qu’il y a de plus noble), la garbure si chère à Kléber Haedens, la fondue savoyarde (gruyère de montagne, beaufort, abondance) ou mieux la fondue fribourgeoise (vacherin fribourgeois uniquement). La fondue moitié-moitié à ma préférence (gruyère valaisan, vacherin fribourgeois cuits dans du vin blanc avec des échalotes hachées et du poivre du moulin) mais la fondue vigneronne, plus digeste que la fondue bourguignonne mérite bien qu’on la teste. On peut la réaliser avec des cubes de bœuf, poire, filet, entrecôte, bavette, à la rigueur rumsteck s’il est bien maturé, que l’on cuit dans un caquelon rempli de vin rouge aux épices. Ou avec des morceaux de viandes blanches, filets de poulet, de dinde, noix de veau que l’on plongera à sa façon dans un bain de vin blanc aromatisé bouillant. Le tout sera accompagné de frites que Brillat-Savarin appréciait tout particulièrement et de salade méli-mélo.  

La tartiflette se réalise avec un fromage de saison agréable, doré, crémeux et doux, le reblochon. Cette spécialité savoyarde doit son nom à une astuce de paysans pratiquant la « rebloche » ou deuxième traite (du verbe reblocher). Jadis, les paysans rétribuaient leur propriétaire sur laquantité de lait produite en une journée. Au moment du contrôle, le fermier pratiquait une traite incomplète pour payer moins de location. Dès le départ du contrôleur, il procédait à une seconde traite. Le lait ainsi obtenu était peu abondant mais très riche en crème, idéal pour fabriquer quelques petits fromages. La tartiflette plait aux hommes et aux enfants ; c’est bien gras, y’a des patates, du fromage fondu et du lard, de l’oignon et du vin blanc, ça ne coûte pas gros, raisons pour lesquelles les mamans et les maîtresses de maison qui cuisinent encore les présentent à la table sans remords. Je pense qu’avec ça, not’ compte est bon et qu’un fromage ou un dessert seraient superflus ! Philosophons un peu comme écrivait Victor Hugo, ça fait digérer. 

Franck Nicolle 

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