Indo

L’Indo au cœur

Le 7 mai 1954 s’achevait la décisive opération Castor lancée en novembre 1953 contre le Vietminh par le haut-commandement français de Hanoï mais,  au bout d’un semestre de combats acharnés tombait « Eliane », le dernier point d’appui tenu par nos forces dans la cuvette de Diên-Biên-Phu, à la frontière du Laos.

L’écrasante supériorité numérique des bo-doïs de Hô-Chi-Minh et la noria incessante des camions soviétiques transportant leurs armements et notamment leur sapes destinées à miner le camp retranché, avaient eu raison de l’héroïque résistance des assiégés, pour la plupart légionnaires et parachutistes, que les mauvaises conditions météo empêchaient l’aviation de relever et même de ravitailler en vivres et en médicament alors que se multipliaient les blessés — voir le témoignage du Dr Paul Grauwin, J’étais médecin à Diên-Biên-phu, texte disponible gratuitement sur le site de la BNF, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3367433w.

Ainsi, sur cette défaite précipitant la signature des Accords de Genève par Pierre Mendès-France, s’achevaient la « sale guerre d’Indochine » (à laquelle succéderait une décennie plus tard la « sale guerre du Vietnam ») et près d’un siècle de présence française en Indochine, du Tonkin à la Cochinchine en passant par le Laos et le Cambodge. Mais pas le martyre des rescapés de la cuvette qui, souvent blessés, loqueteux et réduits à l’état de squelette, seraient interminablement traînés, à pied, de village en village, pour les humilier et montrer aux indigènes la totale déroute des Blancs avant d’être, pour les plus chanceux d’entre eux, remis à la France. Dans un état de faiblesse et de dénutrition que même les déportés de Buchenwald, où avaient été détenus nombre de cadres faits prisonniers par le Vietminh, n’avaient jamais connu.

Toujours le « mal jaune »

Près de septante ans ont passé depuis ces heures si sombres mais le « mal jaune » si abondamment décrit dans leurs livres par Lucien Bodard, Jean Lartéguy ou Erwan Bergot, n’a pas disparu.

Nicolas Le Nen est né en 1966. Général de son état après avoir commandé en Afghanistan puis dirigé le Service action de la DGSE et publié plusieurs ouvrages de stratégie, comment en est-il venu à choisir Diên-Biên-Phu comme point de départ d’Armistice (1), son premier roman ? Un récit qui a pour héros le lieutenant idéaliste Constant Jalaire, frais émoulu de Saint-Cyr et rongé par le remords après une grave erreur de commandement ayant coûté la vie à ses supplétifs thaïs, Heinrich Schmidt, un légionnaire ancien capitaine de la Wehrmacht, mais obsédé lui aussi par une faute commise pendant la bataille de Stalingrad au cours de laquelle il avait, par bravade, sacrifié huit de ses hommes, et Marcel Larget, un déserteur assez filou d’origine paysanne dont la mère et les sœurs ont péri à Oradour. Chacun racontant tour à tour, à la première personne, ses antécédents, et surtout le dur présent auquel, seuls ou ensemble après la victoire de Viêts, ils se trouvent confrontés. Désarmés, livrés à eux-mêmes et pourchassés par l’ennemi omniprésent.

Au demeurant, l’intérêt du livre réside moins tant dans l’équipée des trois hommes — qui les conduira à signer un armistice avec leur conscience avant, pour deux d’entre eux, de finir par trouver la mort — et les liens quelque peu artificiels qui les unissent à leur insu, que dans l’atmosphère qu’a su ressusciter l’auteur. Les cagnas misérables, les affriolantes congaïs, les can bô (commissaires politiques) sortis de nos meilleures universités mais vibrant de haine à l’encontre des « colonialistes », les Chinois cauteleux et affairistes, la jungle où l’on s’embourbe et où l’on tremble de froid sous les pluies de mousson, la voracité des maringouins, ces insectes qui vous dévorent tout vif… Et, pourtant, ce pays — où je n’ai pu me rendre que très tard — vous prend aux tripes. L’enfant Nicolas Le Nen a dû entendre les récits, de guerre ou de paix, qui ont bercé ma prime adolescence et décidé de mon destin… et sans doute du sien. Nostalgie, même de ce qu’on n’a pas connu, quand tu nous tiens… 

Camille Galic

  1. Éditions du Rocher 2023, 309 pages, 19,90.

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