Rolinat

Les souvenirs politiques de Jean-Claude Rolinat

Toute personne qui a fréquenté, de près ou de loin, le Front national entre 1981 et 1998 a forcément croisé Jean-Claude Rolinat. Rolinat était d’abord un militant de terrain, un élu local. Mais ce proche de Jean-Pierre Stirbois a aussi exercé des responsabilités nationales dans l’organisation des fêtes du Bleu-Blanc-Rouge, les fameux « BBR », et au sein de National Hebdo, qui fut un grand journal, créé en 1984, et disparu en 2008, victime comme tant d’autres titres de presse, du grand chambardement provoqué par l’arrivée des médias sociaux. Par ses souvenirs militants, Rolinat nous raconte donc 17 années de l’histoire du FN. Beaucoup de nostalgie, des leçons à prendre, aussi.

Si vous faites partie de ces Français qui ont milité « au Front » ou dans ses marges, grosso modo entre l’arrivée de la gauche au pouvoir et la scission Le Pen – Mégret, ce livre, 17 ans dans les tranchées du Front national, est pour vous. Vous vous y retrouverez. Vous retrouverez vos émotions de jeune homme ou d’homme mûr, vous retrouverez ce sentiment d’avoir participé à une entreprise qui vous dépassait, qui s’inscrirait dans l’Histoire, dont vous pouvez être fier, même si, aujourd’hui, vous ne vous retrouvez pas pleinement dans l’action de ceux qui ont repris le flambeau. Il est vrai qu’avec le vote pour l’avortement dans la Constitution, ou la participation aux cérémonies dévotes de béatification du stalinien Manoukian…
Tout d’abord je vous conseillerai de commencer par la fin du livre, par ce cahier d’une vingtaine de pages qui, au fond, résume assez bien le livre : ce sont des photos qui nous renvoient à beaucoup d’événements marquants de ces années-là, et surtout à beaucoup de visages amis. Par exemple Michel Collinot et Jean-Pierre Stirbois, Pierre Durand, Philippe Colombani, Pinatel… Ces noms ne vous disent rien ? Alors c’est que vous êtes un nouveau venu dans l’univers politique de la « droite nationale ». Dans ce cas, prenez ce livre pour ce qu’il est aussi : un livre d’histoire. Les autres, les très nombreux autres qui espéraient peut-être pouvoir lire – ou écrire – un jour l’histoire de leurs années d’engagement les plus passionnantes le liront comme l’histoire d’une grande famille, avec ses réunions fraternelles et ses querelles, ses espoirs et ses déceptions, ses réussites et ses échecs.
Oui ces années furent formidables, parce que nous avions le sentiment d’être au cœur de l’action, et surtout parce que nous avions vingt, trente ou quarante ans, cinquante, peut-être, et que nous en avons quelques dizaines de plus, à présent.
« compenser le malheur du temps par le bonheur d’écrire »
En lisant le livre de Rolinat, je fermais parfois les yeux et me disais : et pour moi, quels sont les épisodes politiques qui ont le plus compté ? Paradoxalement je dirais d’abord : l’investiture de Mitterrand au Panthéon, en mai 1981. J’étais chez Jean Raspail, à Paris, et je l’interviewais pour le Rivarol de Maurice Gaït et Camille Galic (Rivarol du 11 juin 1981). La télévision montrait en direct Mitterrand et sa rose rouge montant vers le Panthéon. Raspail m’avait conseillé de faire comme lui, de « compenser le malheur du temps par le bonheur d’écrire ». Coup de chance : c’est à l’automne 1981 que ce créa le quotidien Présent, et Blignières et Brigneau m’entraînèrent dans cette aventure journalistique unique. Un autre bon moment : la manif pour l’école libre (1984). Le gigantesque cortège arrive à La Bastille, et tout au fond j’aperçois une marée humaine derrière les banderoles du Front national. Impressionnant ! Autre moment fort : « l’heure de vérité du 13 février 1984 ». Le Pen n’avait jamais été invité à une émission de télévision. Cette « heure de vérité » fut suivie avec passion, et le « menhir » creva l’écran.
Mais le meilleur de mes souvenirs, ces années-là, fut sans conteste ce 21 avril 2002 où, à la surprise générale, Le Pen se retrouva au second tour de la présidentielle. J’assistais au dépouillement dans le village du Berry où mes parents avaient pris leur retraite, et au vu des votes, je compris tout de suite qu’il se passait quelque chose. Le reste de la soirée ne fut que chants et libations ! Rolinat raconte bien évidemment une ambiance un peu analogue, dans son village de Seine-et-Marne, mais à l’époque il vient tout juste de quitter le FN, après dix-sept années de fidélité, pour suivre Bruno Mégret. Sa fête à lui en fut sans doute un peu gâchée…
Une vision militante de la vie
Dans mon Histoire des droites sous la Ve République (écrite avec Philippe Vilgier), j’ai situé à 1976 le tournant de la reconquête. A l’autre extrême des dates, avril 2002 marqua sans doute l’apogée d’une certaine forme d’engagement, où l’idéalisme, la culture et les traditions comptaient infiniment plus que la rationalité, la gestion et la stratégie politique. Faut-il le regretter ? Chacun a sa réponse.
A l’évidence Rolinat ne se reconnaît plus dans le FN/ RN de Marine Le Pen. Mais il y a aussi le facteur des « ans s’ajoutant aux ans ». Quelle est la part de la fatigue militante et de la fatigue tout court ? « Candidat à presque tout, élu à pas grand-chose », il n’en garde pas moins l’idée qu’« il y aura encore quelques printemps ». C’est l’inaltérable marque d’une vision militante de la vie. Militant vient du latin miles, soldat
Un livre utile, un bon aide-mémoire. Il lui manque toutefois un index des noms cités, comme trop souvent.

Francis Bergeron

17 ans dans les tranchées du Front national, par Jean-Claude Rolinat, Dualpha, 2022, 356 p.

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