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Les lectures de Madeleine Cruz : maudits musiciens !

On aurait tendance à penser que la musique (la musique classique, s’entend, on ne parle pas ici de chansons ou de chœurs militants) est par définition à l’abri des polémiques politiques qui traversent ou ont pu traverser les époques. On sait bien que Wagner suscita un temps des discussions, et a été boycotté en Israël, mais faire de l’auteur de Lohengrin un nazi, c’était quand même pousser loin l’anachronisme.

Après la guerre, le fait que Karajan ait joué alors qu’Hitler était au pouvoir, a pu déplaire, aussi. D’où la « dénazification » qu’il dut subir, comme l’écrivain Ernst von Salomon par exemple (qui en tira un chef d’œuvre, Le Questionnaire), et bien d’autres, d’ailleurs. Mais on sait aussi que Karajan et Hitler ne s’entendaient guère, et c’est l’hymne à la joie joué par Karajan qui est, aujourd’hui encore, l’hymne officiel de l’Union européenne. C’est donc bien que ni Beethoven ni Karajan ne sont vraiment maudits, n’en déplaise aux pisse-froid.
Mais au-delà de Wagner et Karajan, une foule de chefs d’orchestre, de compositeurs, de musiciens, d’artistes lyriques ont été montrés du doigt, à un moment ou à un autre de leur carrière. Ce fut particulièrement vrai pour les musiciens allemands, pour peu qu’ils aient continué à jouer sous le IIIe Reich. Le même sort a été réservé à des artistes français qui exercèrent leur talent à l’époque du maréchal Pétain, (En furent même victimes des savants, des inventeurs comme Georges Claude, Alexis Carrel, ou les frères Lumière). Les « vigilants » d’aujourd’hui sont d’ailleurs souvent bien plus sévères que les autorités de l’immédiat après-guerre, dans leur recherche tatillonne d’épuration musicale aux relents totalitaires.
Curieusement ces persécutions, ce wokisme avant l’heure, ne s’appliquent pas aux artistes ayant exercé leur art sous régime stalinien, ou ayant par exemple chanté à la fête de L’Humanité, devant un public au premier rang duquel se pressaient des dignitaires Khmers rouges. Ce qui prouve bien que cette persécution de « musiciens maudits » a toujours strictement répondu à des objectifs idéologiques, non à un souci humaniste.
L’envie d’écouter tous ces artistes
Paul-Louis Bonjour, dans un petit ouvrage (132 pages), intitulé Les écrivains maudits, nous présente la liste de ceux dont il est de bon ton de rappeler régulièrement « l’infâmie ». Il s’est essentiellement intéressé aux musiciens de l’époque du IIIe Reich.
Cette liste ressemble assez à une énumération à la Prévert, puisqu’on y trouve des artistes n’ayant jamais joué de rôle politique, n’ayant même jamais exprimé une adhésion à quelque idéologie que ce soit, mais dont le seul tort fut de jouer un jour devant Hitler ou devant des chefs nationaux-socialistes. On trouve également dans cette liste des musiciens d’avant le IIIe Reich, mais dont les œuvres plaisaient aux dignitaires du IIIe Reich : Mozart, Carl Orff, Strauss, Bruckner, Chopin. Et Wagner, bien entendu. Sans parler d’Honegger, de Berlioz ou de Gluck
Du côté des musiciens français, et sur la base des critères définis par nos censeurs, il convient sans doute de détester Alfred Cortot, Vincent d’Indy, Florent Schmitt, Germaine Lubin. On pourrait même ajouter Gabriel Fauré, aux opinions royalistes, Maurice Ravel, ultra-patriote etc.
Cela a quelque chose de rassurant de trouver tant de talents dans le « camp du mal ».
Le mérite de Paul-Louis Beaujour est en fin de compte de nous donner envier d’écouter la musique de tous ces artistes. Il termine d’ailleurs son étude par une liste d’enregistrements spécialement recommandés (côté compositeurs comme côté interprètes). Voilà qui me sera utile pour me constituer une audiothèque idéale !

Madeleine Cruz

Les musiciens maudits, par Paul-Louis Beaujour, Déterna éditions, collection « documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 2023, 21€

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