Delon

Delon et le « Grand Léon »

Les Jeux olympiques enfin terminés, La France Insoumise espérait bien devenir la nouvelle star de l’été avec sa diatribe du 17 août contre le chef de l’État accusé de perpétrer un « coup de force institutionnel contre la démocratie » (ce qui n’est pas faux) en ne tenant aucun « compte du résultat politique des élections législatives anticipées », ce pour quoi Jean-Luc Mélenchon, grand timonier de LFI, avait lancé un plan (assez bancal vu la complexité du processus) de destitution d’Emmanuel Macron.

Las ! On apprenait le lendemain la mort à 88 ans d’une autre star, incontestée celle-ci, et l’initiative des Insoumis passait au second plan. Après avoir occupé tout le, dimanche l’ensemble des antennes de télévision, c’est ainsi Alain Delon qui faisait la une de tous les quotidiens déclinant sur d’innombrables pages sa brillante carrière et ses choix politiques.

Pour Eugène Delacroix…  et Christine Boutin !

Les journaux ont été discrets sur la ténébreuse affaire Markovic qui, exploitée par l’ultra-gaulliste René et très sale bonhomme René Capitant tentant d’impliquer Claude Pompidou dans les parties fines du Tout-Paris pourri — où, ancien homme à tout faire de l’acteur, le réfugié serbe Stevan Markovic jouait volontiers les étalons avant de finir liquidé par des tueurs jamais identifiés —, précipita la décision d’un Georges Pompidou ulcéré de se poser en successeur naturel de De Gaulle. Auquel il succéda en effet.

En revanche, la presse a tartiné à satiété sur Delon le « réac ». Amateur d’art averti, n’avait-il pas accumulé puis revendu à prix d’or quantité de tableaux modernes, ne conservant que ce qu’il « aimait vraiment, le XIXe siècle et le début du XXe siècle (…) Géricault, Millet, Delacroix » ? N’avait-il pas fait construire une chapelle dans son domaine du Loiret ? Approché pour le rôle de Louis XV dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola, n’avait-il pas refusé, trouvant choquant « qu’une Américaine tourne un film sur la Révolution française » ?

Tout aussi outrageante, sa déclaration de septembre 2013 : « Il fut un temps où, dans la rue, on distinguait les hommes et les femmes. Maintenant, on ne sait plus qui est qui. Les rôles sont moins définis, ils se sont parfois même inversés, comme avec le congé paternité. Et puis, on a l’air de sous-entendre qu’être avec quelqu’un du sexe opposé ou du même sexe, c’est pareil. Ça, c’est grave. Je ne suis pas contre le mariage gay, je m’en fiche éperdument, mais je suis contre l’adoption des enfants. » Ce qui, avant les élections européennes de 2014, l’incitera à exprime sa sympathie pour le mouvement Force Vie de Christine Boutin.

De Le Pen en Degrelle

Mais, aux yeux des censeurs, ce qui rendait Delon infréquentable, c’étaient surtout sa longue amitié, que n’expliquait pas seulement leur passé indochinois, avec Jean-Marie Le Pen, et son indulgence pour le Front national dont, en octobre 2013, il avait salué la progression électorale car « l’extrême droite, c’est quand même la droite et elle regroupe quelques millions de Français, dont il faut tenir compte ». Une déclaration, jugée inqualifiable par le Comité Miss France — dont Delon était le président d’honneur à vie — qui s’en indigna. Riposte de l’intéressé : loin de demander l’aman, il claqua la porte du Comité. Éloigné de l’actualité par sa santé défaillante, sans doute a-t-il ignoré que les « quelques millions » dont il avait alors parlé seraient en fait 9,3 millions le 7 juillet 2024 — ce qui, d’ailleurs, n’a rien changé à l’ostracisme pensant sur le FN devenu RN par la volonté de Marine Le Pen, pour laquelle il n’avait d’ailleurs pas voté aux présidentielles de 2017 et 2022, lui reprochant d’avoir « trahi son père ».

Un père que de nombreuses photos publiées ces derniers jours montrent donnant l’accolade au « Samouraï ». Mais un cliché plus sulfureux encore existe, qui date de 1975 : il montre Alan Delon, qui tournait alors en Espagne un remake franco-italien de Zorro, dont il tenait le rôle, au côté d’un Léon Degrelle tout souriant.

Comment le chef de la légion Wallonie, dans l’appartement madrilène duquel cette photo trônait encore en bonne place lors de son 80ème anniversaire, avait-il fait la connaissance de l’acteur ? Sans doute par le truchement du journaliste Bernard Laignoux, que son lourd passé d’élève officier à la SS-Junkerschule de Bad Tölz (transformée dès 1945 en camp d’entraînement des forces spéciales américaines) n’avait pas empêché, bien que cette radio fut alors dirigée par Maurice Siegel, de devenir l’une des « voix » d’Europe n°1… en même temps qu’il signait Bernard Dufour dans Rivarol. Et que son frère Marcel, réfugié comme Degrelle à Madrid où il avait créé une entreprise prospère, mettait tout en œuvre pour adoucir l’exil d’Abel Bonnard, l’académicien français et ancien ministre de l’Instruction publique dans le gouvernement du Maréchal, condamné à mort par contumace (après un procès durant à peine quinze minutes) pour « enrôlement pour l’Allemagne, intelligence avec l’ennemi, participation à une entreprise de démoralisation de l’armée et de la nation », et donc déchu de son fauteuil sous la Coupole comme de tous ses biens. N. B. : en 1960, lors du procès de l’auteur tant fêté des Modérés devant la Haute Cour, le juge d’instruction Guy Raissac estima qu’« aucun des motifs retenus contre lui n’était fondé » ; il ne fut d’ailleurs condamné qu’à une peine de bannissement de dix ans à compter du 20 mai 1945 et donc déjà purgée. Mais ce terme de bannissement le révolta, lui auquel sa bravoure avait valu pendant la Grande Guerre la croix de guerre 14-18 et la Légion d’honneur, et il repartit en Espagne où il mourut en 1968.

Léon Degrelle et Abel Bonnard se fréquentaient. A Madrid, Alain Delon, ancien petit voyou (mais peut-être petit-cousin de Napoléon à la mode corse car son aïeule maternelle, née Evangelista dans l’Ile de beauté, était issue d’une famille réputée apparentée à la gens Bonaparte), a sans doute rencontré la Grande Histoire.

Camille Galic

(2 commentaires)

  1. Merci pour cet article qui change de ce qu’on a lu ailleurs… et qui incitera peut-être à lire « Les Modérés » d’Abel Bonnard, toujours d’actualité.
    La seule fois où j’ai vu Delon « en vrai », c’est d’un balcon de Cannes où se déroulait l’édition 1961 du festival. Ce qui m’avait frappée n’était pas sa beauté mais sa pâleur. Il était blême de peur, et pour cause : la décapotable où il avait pris place était assiégée par des centaines de femmes hystériques, dont certaines voulaient à toute force le tripoter, se dépoitraillaient — au sens propre du terme — et mimaient des gestes obscènes. Si l’une de ces furies avait réussi à s’introduire dans la chambre d’hôtel de l’acteur, nul doute qu’elle se réveillerait maintenant pour raconter qu’il l’avait violée, sans obtenir son « consentement » préalable.

  2. Alain Delon n’avait pas attendu Léon Degrelle pour rencontrer « la grande histoire ». Dans une interview accordée à Télérama en 1990, il racontait : « Delon, sa solitude, il la traîne depuis l’âge de quatre ans ! […] Mes parents ne vivaient pas ensemble. Il m’a fallu supporter un beau-père charcutier et ma mère, très vite, m’a mis en nourrice chez des gardiens de prison à Fresnes. Un de mes premiers souvenirs, c’est le bruit des salves lors de l’exécution de Laval », le 15 octobre 1945 — le cadavre de l’ancien président du Conseil (après avoir, alors ministre du Travail, fait adopter la loi du 5 avril 1928 étendant les assurances sociales aux salariés du privé), étant ensuite jeté à la fosse commune.
    A propos de son engagement à 17 ans en Indochine, Delon ajoutait : « Ce fut la plus belle période de ma vie… C’est là-bas que j’ai appris la discipline, la rigueur, le respect de soi, de l’autre et du chef. »

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