Liban

Opération « Bipeur »

Depuis au moins deux semaines, le Liban Sud et la Bekaa vivent au rythme des escalades entre le Hezbollah et Israël dont le premier ministre Netanyahu a déclaré dimanche dernier avoir donné des instructions à l’armée pour « se préparer à changer la situation dans le Nord » tandis que son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, appelait la veille le Cabinet et l’armée à lancer une guerre contre le Liban pour « ramener chez elle les populations déplacées » du nord d’Israël et que le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, indiquait vendredi dernier que les Forces de Défense Israéliennes étaient « très concentrées » sur la lutte contre le Hezbollah et se préparait à des « mouvements offensifs ».

C’est dans ce contexte tendu que les raids israéliens se sont intensifiés ces derniers jour en alternance avec des passages d’avions de chasse provoquant des boums supersoniques dans le ciel libanais, les raids ciblant en particulier des dépôts d’armes, des plateformes de lancement de missiles, mais aussi des « routes militaires » du Hezbollah, avec des largages de tracs invitant la population civile des zones contrôlées par le Hezbollah à quitter la région. En dépit des efforts réitérés de l’Administration américaine pour trouver un consensus propre à calmer les ardeurs des deux parties, les Israéliens persistent à exiger un retrait militaire complet du Hezbollah à au moins 10 km de la frontière, de façon à protéger les populations civiles du nord et de l’est de la Galilée et à permettre leur retour dans leurs villages des zones frontalières désertées par mesure de précaution depuis le 7 octobre dernier.

Enfin, l’armée israélienne a lancé dès fin août des manœuvres d’entraînement impliquant les soldats de la 11e brigade de la 99e division dans le secteur-nord en cas de « guerre potentielle au Liban ». Selon le Times of Israël, « les troupes ont pratiqué des scénarios de combat de haute intensité (…) les forces de la brigade mettant en œuvre des évacuations de blessés sous les tirs ennemis (…) simulant une manœuvre en profondeur à l’intérieur du territoire libanais », mettant ainsi à rude épreuve les nerfs des combattants de la milice chiite déjà très affectés par les éliminations successives de plusieurs hauts commandants hezbollahis dans des attaques ciblées de drones. C’est suite à ces attaques et aux brèches de sécurité ainsi mises en lumière dans l’appareil militaire du Hezb que son haut commandement a décidé depuis plusieurs semaines d’abandonner leurs réseaux de communication par téléphonie mobile – manifestement infiltrés par les renseignements militaires israéliens – au profit de la méthode plus archaïque mais moins piratable des fameux « bipeurs ». Or, «vers 15h30, le mardi 17septembre 2024, un certain nombre d’appareils de réception de messages connus sous le nom de « bipeurs » appartenant à un certain nombre de travailleurs dans diverses unités et institutions du Hezbollah ont explosé», a confirmé le mouvement chiite dans un communiqué laconique.

Cette opération massive et parfaitement coordonnée aurait fait à ce jour plus de 3500 blessés, dont Mojtaba Amani, l’ambassadeur d’Iran à Beyrouth qui aurait perdu la vue, et 12 morts parmi lesquels le fils du député du Hezbollah Ali Ammar. Plusieurs hauts responsables du Hezbollah seraient également blessés, sans toutefois que leurs noms ne soient révélés à ce jour, mais pas son secrétaire général, Hassan Nasrallah. Plusieurs sources concordantes évoquaient mardi soir la possibilité que le Mossad ait réussi à infiltrer la chaîne logistique du Hezbollah puis le processus de fabrication « et ajouté dans les bipeurs un composant explosif assorti d’un détonateur activable à distance, sans éveiller les soupçons». Israël n’a pas revendiqué à cette heure cette attaque technologique mais selon le quotidien israélien Haaretz et le New York Times, Tel-Aviv avait repéré dès dimanche et lundi des «signes inhabituels de préparatifs militaires du Hezbollah dans le sud du Liban ». Selon plusieurs analystes locaux et internationaux, l’ « Opération bipeur », en réduisant à néant une grande partie des capacités de communication de la milice chiite dans ses fiefs du sud du pays, mais aussi dans la Banlieue sud de Beyrouth et dans la plaine de la Bekaa, pourrait avoir été une attaque préventive de grande envergure. Le quotidien libanais l’Orient-le Jour souligne que l’Observatoire syrien des droits de l’Homme a indiqué que 14 membres du Hezbollah libanais auraient également été blessés dans l’explosion de leurs appareils de communication à Damas.

Prévention d’une attaque massive du Hezbollah en Galilée ou préambule à une invasion militaire prochaine du Sud Liban par Tsahal, l’avenir tranchera dans un sens ou dans l’autre, mais de toute évidence la milice chiite pro-iranienne se retrouve considérablement affaiblie par ce que les experts qualifient déjà d’ opération inédite dans l’histoire militaire, tant par le fait d’avoir mis hors de combat plus de 3000 hommes en quelques minutes que par la prouesse technologique – et celle du renseignement – que cette opération implique.

Sophie Akl-Chedid

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