Présent avait beaucoup apprécié la biographie pour enfants de la comtesse de Ségur, parue chez Mame dans la collection « Vrais héros, vraies histoires ». L’ouvrage tout nouvellement sorti consacré à Tolkien est de la même eau, mais s’adresse plutôt à des adolescents.
Après avoir lu Bilbo, par exemple, et avant même qu’ils ne se plongent dans Le Seigneur des anneaux, il sera fort intéressant pour eux de découvrir la véritable passion du tout jeune Tolkien pour les langues anciennes (latin et grec, très tôt, n’ont plus de secrets pour lui) et l’étymologie… Découvrant le mot, « Moi aussi je suis un philologue ! », se dit le jeune garçon. Plus tard, la découverte de l’écrivain anglais Chaucer et donc du moyen anglais lui fait toucher du doigt que les langues sont vivantes, qu’elles évoluent, qu’elles ont une histoire… Le « vice impuni » de Tolkien ? Inventer des langages imaginaires, ce qu’il se risque à faire d’abord avec des cousines puis, de façon plus recherchée, avec des amis. Et lorsqu’il découvre le Kalevala, épopée finnoise, pas question de se contenter de la traduction en anglais : il s’attaque à l’étude du finnois !
La dure expérience de la guerre
Je mets au défi les parents ou les grands-parents de ne pas lire l’ouvrage d’une traite – car vous le lirez, bien sûr, avant de l’offrir à qui de droit ! La carrière de Tolkien s’y déroule, interrompue par la Grande Guerre, durant laquelle il vient combattre en France. Victime de la fièvre des tranchées, il s’en tire, contrairement à plusieurs de ses amis chers. Mais il en rapporte des visions d’horreur qui l’inspireront pour certaines pages de sa saga la plus connue. Professeur d’université d’abord à Leeds, il obtient ce dont il rêve depuis toujours : un poste à Oxford, où il a pu faire une partie de ses études.
Marié durant la guerre à une jeune femme rencontrée lorsqu’il avait 17 ans, il invente sans mal des histoires qui fascinent ses enfants et constituent la base de certains de ses livres. Mais, surtout, le lecteur appréhende comment Tolkien utilise des mythes païens pour faire comprendre le sens du christianisme – cela notamment pour ramener à la foi chrétienne son ami Lewis, plus tard auteur de Narnia.
Car Tolkien, il ne faut jamais l’oublier, reste profondément catholique. Le récit de la conversion de sa mère, veuve très jeune, et des sacrifices consentis – elle a été alors rejetée par sa famille et n’a pu élever ses enfants que grâce à l’aide du père Morgan, prêtre de l’Oratoire qui a soutenu la jeune femme et ses deux fils et a pris en charge l’éducation des deux garçons, Ronald et son frère, quand ils perdirent leur mère. Lorsqu’il épouse Edith, Ronald lui demande de se convertir au catholicisme, non seulement en souvenir de sa mère mais surtout parce qu’il tient à tout partager avec elle, dont sa foi, essentielle pour lui. Leur fils aîné deviendra d’ailleurs prêtre. Le professeur de philologie comparée Tolkien meurt, veuf, en 1973. Il a passé les dernières années de sa vie accueilli gracieusement au sein de son collège, à Oxford.
Le développement, à la fin de l’ouvrage, sur le sens que donnait Tolkien à son œuvre, apporte des éclairages intéressants. L’auteur y rappelle, par exemple, qu’il ne s’agit pas, dans Le Seigneur des anneaux, d’allégories du monde réel : Sauron le méchant ne représente ni Hiltler ni Staline. Une seule remarque à déplorer, celle sur les Boers (Tolkien est né en 1892 à Bloemfontein, capitale de la République boer de l’Etat libre d’Orange de 1854 à 1902). L’auteur les qualifie en passant de « racistes et esclavagistes ». Il n’est jamais bon, surtout dans un livre pour la jeunesse, d’étiqueter ainsi les peuples. D’autre part, l’écrivain anglais catholique Chesterton aurait-il pris le parti d’un Etat « raciste et esclavagiste » ? Cela étant noté, l’ouvrage passionnera les jeunes lecteurs de Tolkien, et en augmentera le nombre.
Anne Le Pape
• Sylvie Bages, J.R.R. Tolkien, Un érudit en Terre du Milieu, coll. « Vrais héros, vraies histoires », éd. Mame, 256 pages, septembre 2024.
Merci, chère Anne, pour ce bel article sur Tolkien. Avec “L’Éducation sentimentale” de Flaubert, “Les Deux Etendards” de Rebatet et “Mon royaume pour un cheval” de Michel Mohrt, “Le seigneur des anneaux” est le roman qui m’a le plus marquée. Je me souviens avoir refusé des soirées entre amis pour rentrer chez moi au plus tôt et m’immerger dans l’univers foisonnant mais surtout fascinant créé par Tolkien — dont, en revanche, “Bilbo le hobbit” et le “Silmarilion” m’ont un peu déçue.