Depuis une semaine, après avoir grandement déstabilisé la structure militaire et politique du Hezbollah, Israël est parti en guerre contre ses réseaux d’approvisionnement en « dollars frais » et la structure financière qui lui permet depuis des décennies de « tenir » une grande partie de la communauté chiite sous son emprise. Si ses méthodes de blanchiment d’argent, le trafic de captagon et d’armes ne sont un secret pour personne avec un grand nombre de ses « représentants » dans le monde d’ores et déjà frappés par des sanctions américaines et/ou européennes, l’établissement au Liban par l’Iran de l’Association « financière et charitable » Islamique Al Qard el Hassan au début des années 80 fut un coup de maitre et la démonstration ultime d’une volonté originelle d’imposer à terme le Hezbollah comme un état dans l’état. Elle est un élément central du réseau d’associations, écoles, hôpitaux et coopératives au service des partisans de la milice chiite.
Frappée de sanctions américaines parfaitement inefficaces depuis de longues années, accusée de servir d’écran au Hezbollah pour ses activités financières, l’organisation ne compte pas moins d’une trentaine de succursales à Beyrouth et dans les régions à majorité chiite. Officiellement, elle fonctionne comme une institution bancaire avec notamment l’octroi de prêts sur le modèle du Crédit municipal français, mais sans intérêts conformément aux principes de la finance islamique. Et force est de reconnaitre que cet établissement complètement indépendant de la Banque Centrale et donc non soumis aux régulations et aux contrôles du secteur bancaire a préservé ses quelques 400 000 clients de l’effondrement du système bancaire officiel depuis 2019. En février 2023, alors que les banques libanaises poursuivaient le gel des avoirs de leurs déposants, Al Qard el Hassan offrait « des prêts en livres libanaises garantis par (des dépôts) en or » tant aux particuliers qu’aux petites et moyennes entreprises. Selon le quotidien économique israélien Globes, la partie apparente de ses activités a pour but de fournir aux chiites et également à la communauté palestinienne un soutien économique permettant de s’assurer en retour leur implication inconditionnelle dans la guerre d’usure que le Hezbollah mène pour Téhéran depuis le Liban. L’autre aspect de ses activités, selon l’ancien patron de la Brigade financière antiterroriste du Shin Bet, Uzi Shaya, et de loin le plus important en terme de fonds, inclut des activités criminelles de blanchiment d’argent issu aussi bien de mines d’or en Amérique du Sud ou en Afrique, que du trafic d’armes ou encore de drogue, toujours depuis les cartels sud-américains jusqu’à la production massive de Captagon en Syrie et au Liban. Le docteur Haim Koren, universitaire et ex ambassadeur israélien en Egypte et au Soudan, confirme ces allégations en affirmant que Al Qard Al Hassan « est une des plus riches organisations terroristes fondées par l’Iran, avec un immense réseau de contrebande en Amérique Latine et en Afrique. Leurs agents déplacent des millions de dollars en liquide à travers le monde, au gré des besoins. »
Depuis dimanche dernier, ce sont donc la quasi-totalité des succursales du Qard Al Hassan (le prêt vertueux, en arabe) qui ont été prises pour cible par des dizaines de raids israéliens dans les bastions du Hezbollah depuis la banlieue sud de Beyrouth, mais aussi au sud du pays et dans la plaine de la Bekaa, le porte-parole arabophone de Tsahal, Avichay Adraee, publiant au fur et à mesure sur son compte X des ordres d’évacuation aux habitants dans les minutes précédents les frappes et accusant l’association d’être impliquée « dans le financement des opérations terroristes du Hezbollah ». Les responsables israéliens disent ouvertement à qui veut les entendre que cette nouvelle opération hautement stratégique contre les réseaux financiers du Hezbollah au Liban vise non seulement à geler les salaires de ses combattants et le financement de ses opérations militaires mais aussi à « affaiblir la confiance entre le Hezbollah et une grande partie de la communauté chiite qui utilise cette institution comme une banque », bref, à sectionner le nerf de la guerre.
Charbel Bou Haddad