C’est l’image que je veux garder de lui alors qu’il vient de s’éteindre : il était mince, il était beau, le légionnaire Le Pen quand, encore lycéenne, je le vis pour la première fois en février 1957, en béret vert et tenue camouflée, à la ferme de La Trappe, non loin de Zéralda où cantonnait le 1er REP, pour lequel le député de Paris avait renoncé au confort de son siège à l’Assemblée nationale. Tout jeune encore (29 ans), il avait déjà cet abattage et cette autorité que corrigeaient toutefois ses saillies et son rire.
Mais c’est à l’hiver 1962, au procès des auteurs de l’attentat antigaulliste du Petit-Clamart, où je témoignai pour la défense et dont il suivait assidument les audiences — qui allaient conduire à la condamnation du colonel Bastien-Thiry, exécuté en mars 1963 — que je lui parlai pour la première fois. Entre autres des Poèmes de Fresnes, que sa société la SERP enregistrerait par la suite, magnifiquement (et gracieusement) interprétés par Pierre Fresnay.
Et puis, ce fut la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour pour la présidentielle de 1965 que, journaliste stagiaire à Rivarol et benjamine de l’équipe, je fus chargée de suivre, de son lancement à Montbrison (pourquoi Montbrison ?) jusqu’à la caravane des plages, une grande première en France, en passant par Londres, où le chef de l’opposition et futur Premier ministre tory Edward Heath, qui ne brilla jamais par le courage, reçut Tixier entre deux portes à la Chambre des Communes, alors qu’une audience officielle avait été garantie. Première déception qui en annonçait d’autres et qui expliquait sans doute la nervosité croissante de Le Pen, de plus épuisé par la campagne dont il assurait l’organisation, n’hésitant pas à participer lui-même chaque soir, pour hâter les choses et encourager les militants, au montage des chapiteaux de la caravane TV — pour Tixier-Vignancour.
Un menhir volcanique
Mais avant la présidentielle avaient lieu les municipales. En être ou ne pas en être, telle était la question, que Le Pen avait tranchée par l’affirmative. Par la plume de son doyen Pierre Dominique, excellent historien des Journées révolutionnaires du XIXème siècle et bon analyste politique, Rivarol préconisa au contraire de sauter cette échéance et de garder toute la force de frappe disponible pour la présidentielle. M’avisant dans un couloir du cabinet de Tixier, boulevard Raspail, Le Pen se jeta sur moi et me secoua en vociférant qu’« on ne marchait pas impunément sur la queue du tigre » !
Cette éruptivité toute celte devait jouer des tours au futur président du Front national. On se souvient que, lors des législatives de mai 1997 où sa fille Marie-Caroline se présentait dans les Yvelines contre la sortante socialiste Annette Peulvast-Bergeal, il agressa (verbalement) cette élue, ce qui lui coûta des poursuites et une peine d’inéligibilité qui déstabilisa son parti. L’année suivante, je fus à Montretout le témoin involontaire d’une autre agression — également verbale — contre Bruno Mégret pour une babiole, la couverture ratée d’un livre. Autant d’excès qui devaient conduire à la désolante rupture de décembre 1998. Scission qui n’empêcha toutefois pas Le Pen de se hisser au second tour de la présidentielle de 2002 après avoir éliminé le Premier ministre Jospin pourtant donné gagnant. D’où l’effroyable « quinzaine de la haine » qui s’ensuivit à l’instigation du « front républicain » constitué du RPR aux trotskistes contre le « fasciste » qui voulait expulser les immigrés illégaux, supprimer le droit du sol et freiner l’automaticité des naturalisations.
Dans mon cas, une simple fâcherie s’ensuivit, jusqu’à ce que Michel Collinot nous réconcilie plusieurs années plus tard. Subsista cependant une certaine distance. Je ne crois pas avoir vu Le Pen en tête-à-tête plus d’une demi-douzaine de fois, en général pour des interviews et, si j’ai voté et invité à voter pour lui en toutes circonstances, je refusai en 1998 la flamme d’honneur qui m’était offerte par la direction du parti, ne voulant ni engager Rivarol que je dirigeais alors, ni compromettre le Front National alors que, merci Pleven, Fabius et Gayssot, le journal était accablé de procès.
Contre la Pensée unique : un hommage de… Mélenchon !
N’ayant donc pas été une proche du mouvement ni de son président, je n’en suis que plus à l’aise pour dire combien j’ai admiré l’homme politique. D’abord parce que, comme devait le reconnaître Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur socialiste de l’Essonne, dans une interview publiée par Le Quotidien de Paris le 25 décembre 1991, il avait fait du FN « le seul parti qui réhabilite la politique ». Ensuite pour ses capacités d’entraîneur d’hommes, sa culture, sa vista quant à l’effondrement, auquel nous assistons aujourd’hui, de la France et de sa civilisation, le courage moral dont il donna maintes preuves. Notamment au début d’août 1990 après le lancement de l’opération Bouclier du désert, elle-même déclenchée par Washington à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak.
Flairant une provocation et convaincu, contre la plupart des dirigeants, des électeurs et des sympathisants du Front national pour la plupart alignés sur les Etats-Unis, que l’initiative de George H. Bush déstabiliserait toute la région, « l’extrémiste » préconisa la modération et adjura le gouvernement français de ne pas tomber dans le piège. Le risque était sérieux pour lui de chuter dans les sondages. Ce qui se produisit du reste, surtout quand circula la fake news, inventée et propagée par l’agence de communication new-yorkaise Knowlton & Hill, sur le prétendu débranchage des couveuses de Koweit-City par la soldatesque de Saddam Hussein. Un mensonge qui devait préfigurer celui censé légitimer l’invasion en mars 2003 par l’armée américaine d’un Irak accusé par George Bush junior de détenir un formidable « arsenal d’armes de destruction massive ». Mensonge cyniquement revendiqué en mai 2003 dans le magazine Vanity Fair par le « faucon » Paul Wolfovitz, numéro deux du Pentagone.
Treize ans plus tôt, entre sa courbe de popularité et ses convictions, et malgré l’incompréhension de ses proches (par exemple le grand sociologue Jules Monnerot qui, président du Conseil scientifique du FN, démissionna aussitôt), Le Pen n’avait pas hésité. Il tint bon et protesta contre l’envoi au Moyen-Orient des 18 000 soldats français destinés à soutenir la Tempête du désert à venir et à précipiter ainsi la (première) ruine de l’Irak, de plus écrasé par un embargo sauvage privant le pays de nourriture et de médicaments et même de crayons pour les écoliers, et causant la mort de dizaines de milliers de bébés — d’où la création par Jany Le Pen de SOS Enfants d’Irak… qui fit beaucoup pour redorer le blason de la France dans le monde arabo-musulman !
Et c’est Le Pen, l’homme debout, qui, seul contre tous, avait eu raison. Lorsque les armes se turent, on apprit en effet que, par l’entremise de son ambassadeur à Bagdad, Mme April Glaspie (quelque temps plus tard tuée comme par hasard dans un curieux accident de voiture), Washington avait tacitement approuvé le rattachement à l’Irak de sa « 17ème province » afin de pousser Saddam Hussein à la faute (1) et de tenter de provoquer ainsi sa chute.
Respect, Président ! R.I.P.
Camille Galic
- Voir l’étude définitive des professeurs John Mearsheimer et Stephen Walt dans la livraison de janvier-février 2003 de Foreign Policy, et https://www.globalresearch.ca/gulf-war-documents-meeting-between-saddam-hussein-and-ambassador-to-iraq-april-glaspie/31145.
Très beau papier d’une militante nationaliste exemplaire (c’est pour moi en tous cas un modèle de fierté, d’honneur, d’audace et de fidélité) à l’homme qui s’est levé pour être et durer et donner corps au grand mouvement national, social et populaire transgénérationnel.
Au pied du mur on reconnait l’artisan. Le Pen est mort, Vive Le Pen !
Merci pour ce bel article, qui m’a beaucoup émue. JMLP était un monument de la scène politique française et même internationale.
Juste avant les législatives de décembfe 1962, je me souviens avoir assisté à une réunion de préau dans le 5ème arrondissement dont il était le député sortant et où il affrontait le gaulliste de gauche (et même d’extrême gauche) René Capitant, professeur de droit aux facultés de Strasbourg puis de Paris. Même sur les questions constitutionnelles, l’ancien étudiant (et président de la Corpo de droit) ne fit qu’une bouchée du mandarin qui l’avait pris de très haut. A la faveur d’une triangulaire, Capitant fut cependant élu dans la gaullomania ambiante, due au fait que De Gaulle nous avait « débarrassés du fardeau de l’Algérie ». Un fardeau plus lourd que jamais, hélas.