Redoutée depuis plusieurs semaines après de sérieuses alertes, la mort de Jean-Marie Le Pen aura largement éclipsé mardi la commémoration des sanglants attentats islamistes qui, le 7 janvier 2015, avaient coûté la vie à deux policiers (l’un maghrébin et l’autre antillaise), semé quatre fois la mort dans un magasin casher de la porte de Vincennes et surtout décimé la rédaction de Charlie Hebdo, dont douze collaborateurs furent abattus par les frères Kouachi pour les punir d’avoir offensé le prophète Mahomet. Infiniment moins malmené pourtant que Jésus ou Marie, cibles d’innombrables caricatures souvent obscènes, voire scatologiques.
Voilà dix ans, plus de quatre millions de Français rameutés par le gouvernement, les municipalités, les médias et les syndicats auraient participé aux hommages rendus aux « martyrs » de l’hebdo satirique, porté aux nues (et couvert d’or, alors qu’il frôlait le dépôt de bilan) pour son audacieuse irrévérence et son amour de la liberté chérie — bien que son directeur d’alors, Philippe Val, ne cessât d’exiger l’interdiction et la dissolution du « FN La Haine ».
« Je suis Charlie », tel était le mot d’ordre alors affiché et pieusement scandé, dans une mobilisation nationale que l’on ne retrouva pas, hélas, quelques mois plus tard après l’attentat au camion-bélier, lui aussi islamiste, du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais à Nice, qui fit infiniment plus de victimes : 92 morts et près de 500 blessés. Mais ceux-là étaient des anonymes et le peuple souverain avait la tête aux vacances, d’où la différence de degré dans l’échelle émotionnelle.
Mardi, le chef de l’État et Mme le maire de Paris ont rendu un hommage solennel aux morts de Charlie. S’il est encore président, Emmanuel Macron se rendra-t-il à Nice le 14 juillet prochain pour le dixième anniversaire du massacre de la Prom’ ?
Dans la ferveur ressuscitée, le ministre de la Culture Rachida Dati a ressorti des placards le projet de musée de la Caricature qui avait été abandonné et a promis d’en lancer la construction avant la fin du quinquennat. Si ce musée, dont Cabu, Charb ou Wolinsky, les dessinateurs assassinés, seront sans doute les vedettes, voit enfin le jour, combien voulez-vous parier qu’on n’y trouvera jamais un dessin de notre Chard, de Miege, de Konk, de Pinatel ou des grands anciens, tels Ben, Léno et même Sennep ?
Rameutée mardi soir place de la République, à l’appel du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA, issu de la LCR trotskiste de Krivine) sous prétexte d’hommage à Charlie, l’ultragauche en a profité pour sabler le champagne et multiplier les feux d’artifice (interdits) pour fêter la disparition de Jean-Marie Le Pen. Le défunt, qui se voulait non « pas Charlie mais Charles Martel », n’était-il pas pour ces citoyens d’élite le « diable de la République », qu’il avait fait trembler en accédant au second tour de la présidentielle de 2002 ?
Claude Lorne