Avec l’élection du commandant en chef de l’armée libanaise à la Présidence de la République ce vendredi 9 janvier, un vent d’espoir souffle sur le Liban. Les libanais évoquent souvent leur pays, non sans une pointe d’ironie, comme étant le « balad al ajayeb » le pays des miracles, même si la liste de ses infortunes n’en finit pas. Comme l’ex Président Michel Aoun l’avait cyniquement promis durant son mandat, le Liban a vécu un véritable enfer depuis 2019 : effondrement économique dantesque, système bancaire balayé, dépôts privés gelés en dehors de tout cadre légal, transformation du pays en narco-état au profit du régime des Assad, mainmise du Hezbollah sur les principales institutions du pays, révolution populaire contre la corruption avortée, gigantesque explosion du Port de Beyrouth en 2020 suite au stockage massif et illégal de matériels explosifs par le Hezbollah avec la complicité des autorités libanaises (Michel Aoun avait osé déclarer en visitant les ruines fumantes au lendemain de l’explosion qui a détruit tout le centre de la capitale : « je savais mais je n’y pouvais rien »), assassinat des témoins, blocage des actions judiciaires, déclaration de guerre suicidaire du Hezbollah à Israël le 8 octobre 2023 en soutien « au Front de Gaza » en l’absence d’un chef de l’Etat (depuis la fin du mandat Michel Aoun fin octobre 2022), 12 séances électorales présidentielles mortes nées sous la pression de Hassan Nasrallah et de son allié chrétien du Courant Patriotique Libre (CPL), Gebran Bassil. Depuis un peu plus de deux ans, le Quintet de soutien au Liban formé des États-Unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, du Qatar et de la France tente en vain de sortir le Liban de la crise. Il aura fallu une guerre « pour les autres » dévastatrice entre le 23 septembre 2024 et l’accord de cesser le feu du 27 novembre 2024, l’élection de Donald Trump qui a sifflé la fin de la recréation pour les proxys iraniens au Moyen Orient, la chute du régime syrien et de fortes pression internationales pour que le président de la Chambre accepte de convoquer les députés ce jeudi 9 janvier après deux ans de blocage (on murmure que la future administration Trump lui aurait fait entrevoir le gel de ses gigantesques avoirs aux USA en cas de tergiversations). Joseph Bahout, directeur de l’institut Issam Fares de politique publique et d’affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth, estimait il y a quelques jours sur RFI que « toutes les forces aujourd’hui savent que le cessez-le-feu très fragile entre le Liban et Israël tient notamment à l’achèvement de l’édifice institutionnel libanais. Il faut qu’il y ait un président, il faut qu’il y ait un gouvernement en ordre de marche, il faut qu’il y ait une armée capable de se déployer au Sud. Et je crois que les obstacles que quelques partis politiques comme le Hezbollah, Amal [les deux partis représentant la communauté chiite du pays au Parlement, NDLR] ou le CPL continuaient d’ériger sont aujourd’hui très largement tombés du fait du changement de la donne régionale. »
C’est donc d’un Liban en ruine dans tous les sens du terme qu’a hérité le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, 14eme Président de la République libanaise élu hier par 99 voix sur 128.
Né le 10 janvier 1964 à Sin el-Fil, dans la banlieue chrétienne de Beyrouth, il intègre l’Ecole Militaire en tant qu’élève-officier en 1983 et suit diverses formations militaires ainsi qu’en Sciences politiques et se spécialise en contre-terrorisme notamment aux États-Unis. En 2015, il est nommé commandant de la 9e brigade déployée au Liban-Sud avant de se voir confier en 2016 le secteur Est à la frontière avec la Syrie, au moment des attaques de l’Etat Islamique contre des postes de l’armée et des villages chrétiens frontaliers. Le général Joseph Aoun est promu commandant en chef de l’armée libanaise le 8 mars 2017 et a personnellement supervisé la célèbre opération Fajer el-Jouroud en aout 2017, une victoire qui a permis de chasser les combattants de Daesh du Liban. Par ailleurs, depuis son arrivée à la tête de l’armée libanaise, Joseph Aoun s’est attaché à éradiquer toute forme de corruption au sein de l’institution militaire et à maintenir son intégrité, en faisant ainsi la seule Institution encore debout du pays.
Ainsi, après la double explosion dévastatrice survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020, c’est vers l’armée que de nombreux donateurs internationaux se sont tournés pour acheminer et distribuer une aide d’urgence aux populations, fuyant comme la peste les autres institutions gouvernementales soupçonnées du détournement de plusieurs dizaines de milliards de dollars d’aide depuis des décennie. Sa grande probité et transparence dans la gestion de ces fonds lui ont gagné la confiance de la communauté internationale, notamment des États-Unis, de la France et du Qatar, qui a directement aidé l’armée libanaise à maintenir ses fonctions vitales, salaires minimums, nourriture et couverture sociale depuis la crise financière de 2019.
Enfin, le général Joseph Aoun s’est révélé un pivot essentiel de l’application du cessez le feu au Liban en déployant des unités au Sud dès la première minute suivant la signature de l’accord, assurant la protection des (vrais) civils et entreprenant l’élimination des armes et munitions illégales (Hezbollah et camps palestiniens) au fur et à mesure du déploiement de la troupe. Le général américain Jasper Jeffers et le général français Guillaume Ponchin, chargés de superviser l’application des termes de l’accord entre Israël, le Hezbollah (par le biais de ses ministres) et le Liban ont salué la rapidité et l’efficacité des forces libanaises dans la mise en œuvre de cette mission ultra-sensible.
Quelques minutes après son élection et sa prestation de serment, le président élu, Joseph Aoun, s’est adressé à la Chambre et aux Libanais avec une déclaration de politique générale historique. Il a évoqué en premier lieu la restauration de la souveraineté nationale. « L’Etat aura désormais le monopole des armes et l’armée sera seule en charge de la protection des frontières, de la lutte contre la contrebande et le terrorisme d’où qu’ils viennent », a-t-il lancé avant de poursuivre : « Je vais discuter d’une stratégie de défense pour que l’Etat libanais lutte contre l’invasion israélienne. Et je dis bien l’Etat libanais. Je travaillerai à établir les meilleures relations avec les pays arabes. Nous pratiquerons la neutralité positive et nous n’exporterons dans ces pays que ce que le Liban a de meilleur. Prenant en considération les changements régionaux, nous avons une chance historique de discuter avec la Syrie pour régler tous nos différents, notamment concernant le respect de la souveraineté des deux pays et le dossier des disparus (libanais), ainsi que celui des réfugiés (syriens) de manière rationnelle. Il faut établir une égalité de tous les citoyens aux yeux de la loi, ce qui signifie la fin des mafias, des trafics de drogue et des ingérences dans la justice pour protéger les criminels (…) Je veux travailler sur la loi électorale pour le respect de la rotation du pouvoir et pour une meilleure représentativité, tout en consacrant le droit de vote de la diaspora. Avec le nouveau gouvernement, nous élaborerons une loi électorale moderne et mettrons en place la décentralisation administrative (…) Je serai intraitable en ce qui concerne l’argent des déposants. Sous mon mandat, les banques seront soumises à la loi avec pour seul secret le secret professionnel (…) Je protègerai l’environnement et les libertés, et j’investirai dans l’éducation, surtout publique (…) Je m’engage auprès des Libanais à lutter contre la pauvreté et le chômage et à lancer rapidement mes consultations pour la formation d’un gouvernement. Avec le Parlement et le gouvernement, nous allons redresser l’administration pour rendre son prestige à l’Etat et mettre en place une administration moderne et efficace. »
Lors d’une intervention accordée jeudi soir à la chaîne locale MTV, le patron des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a joué un rôle déterminant dans l’élection de Joseph Aoun en ne se présentant pas lui-même dans un souci de promotion du bien commun plutôt que des intérêts partisans en dépit du fait qu’il est le leader, non seulement du premier parti chrétien, mais aussi du premier parti libanais, a estimé que « l’accession de Joseph Aoun à la présidence de la République reflète le début d’une nouvelle étape, éloignée de l’axe de la résistance », soulignant que, depuis plus de 30 ans, « c’est la première fois qu’un président est élu en dehors de l’influence du régime syrien déchu et de l’axe de la résistance (Iran) ». Le chef des FL a également appelé toutes les parties à « faciliter la mission historique du nouveau mandat ».
Enfin, le ministre des Affaires étrangères israélien, Gideon Saar a félicité dès l’annonce des résultats le Liban pour l’élection de Joseph Aoun à la présidence, exprimant l’espoir « que cette élection contribuera à renforcer la stabilité, à assurer un meilleur avenir au Liban et à ses habitants, et à favoriser de bonnes relations entre voisins ».
Dans l’attente, les libanais de toutes confessions se félicitent les uns les autres dans la rue, osant à peine croire en cet espoir fou qui s’est levé parmi eux de voir le Phœnix libanais renaitre pour la énième fois de ses cendres.
Sophie Akl-Chedid