Dans ses « pages littéraires » de fin de semaine, le quotidien Présent (1982-2022) offrait une chronique régulière qui s’intitula « la chine nationaliste », puis « le chineur français » après une interruption de quelques années. Cette chronique s’adressait et s’adresse toujours, désormais sur le site du Nouveau Présent Hebdo, aux collectionneurs, aux « chineurs » du dimanche.
« Maréchal, nous voilà pas », pourraient chanter les commissaires-priseurs de Nice. Cela fait en effet dix ans que l’un des leurs essaie – en vain – de vendre un exceptionnel manuscrit attribué au maréchal Pétain. Ce document de 350 pages est illustré par 70 croquis. Le tout forme une sorte d’épais cahier, qui raconte la guerre de 14-18, l’intérêt étant bien évidemment qu’il s’agit du récit de celui qui fut l’un des acteurs essentiels et héros de cette guerre, le récit d’un soldat, engagé au plus fort de la bataille, plus que celui d’un historien ou d’un compilateur d’archives.
Ce texte avait été publié après la guerre (sauf à vérifier qu’il n’ait pas été profondément remanié dans la version publiée). C’est donc moins pour le contenu qu’en raison de la main qui a tenu la plume, que ce document est précieux.
Le maréchal s’était fait construire une villa, le domaine de l’Ermitage, dans la commune de Villeneuve-Loubet, entre Nice et Cannes. Le manuscrit a été retrouvé par hasard, dans la malle d’un artisan qui avait travaillé à l’Ermitage. On peut imaginer qu’il lui avait été donné par le maréchal, en reconnaissance pour son travail.
Une expertise avait conclu que ce manuscrit était bien – et intégralement – de la main du maréchal. En 2014, le cabinet de vente aux enchères d’objets haut de gamme Sotheby’s le proposa à la vente, sur la base d’une expertise de 350 000 euros. Mais la veille de la vente, le cabinet retira le manuscrit, en raison de rumeurs contestant le fait qu’il soit de la main de Philippe Pétain. Une nouvelle expertise fut lancée. C’est seulement au printemps 2023 que la Cour de cassation a tranché définitivement le débat : oui, le texte est de la main du maréchal. Il est alors remis en vente, par la maison Nice Enchères, cette fois.
Mais l’Etat n’entend pas le préempter : le temps passant et la désinformation gagnant du terrain, la figure du vainqueur de Verdun est devenue de plus en plus sulfureuse. « Pire qu’Hitler », ont pu écrire sans vergogne des commentateurs assez peu renseignés sur l’Histoire de France. Plus récemment encore, un député LFI réputé tabasseur nommé Deloglu, a pu avouer pour sa part, au micro de Sud Radio, qu’il ne savait pas qui était Pétain, si ce n’est que c’était un raciste…
De ce fait, et aussi en raison des polémiques antérieures sur l’authenticité du manuscrit, les experts ont ramené l’estimation du manuscrit à 80 000 euros, ce qui est donné pour un texte de cette provenance, de cette importance et de ce volume.
Une très belle affaire…
Le document devait passer en salle des ventes en décembre 2024. Il a été retiré in extremis, une fois de plus, pour une raison tout à fait extraordinaire, pour le coup : une autre vente aux enchères devait avoir lieu cette semaine-là, consacrée cette fois à la succession de Gaulle. Or il ne pouvait être question, parait-il, que les deux personnages (désormais historiques) s’affrontent une fois de plus, même par le truchement de commissaires-priseurs. La vente a donc été encore reportée, cette fois au 11 mars.
Une chose est sûre : ces grotesques péripéties risquent de faire encore chuter les estimations… et de permettre à un acheteur potentiel de réaliser une très belle affaire, car il est fort probable qu’à terme les jugements de l’Histoire finiront par réhabiliter la figure du maréchal Pétain. Ce manuscrit est donc un placement, certes de long terme, mais certainement plus sûr que les Bons du Trésor destinés à financer la dette du pays.
Francis Bergeron