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AfD : l’inéluctable prise de pouvoir ?

Cette campagne pour les élections fédérales allemandes anticipées aura été marquée par une terrible série d’attentats sanglants commis par des allogènes (1), un soutien appuyé d’Elon Musk à l’AfD (« Only AfD can save Germany« ) et à sa figure la plus connue Alice Weidel. Mais aussi par un vote historique conjoint fin janvier à la chambre des députés entre la CDU et l’AfD visant à durcir la politique migratoire outre-Rhin et bien sûr par le discours du vice-président américain JD Vance à la Conférence sur la sécurité à Munich qui aura sonné selon Der Spiegel « la fin de l’amitié transatlantique« .

A quoi pourrait donc ressembler le paysage politique allemand au soir des élections fédérales du dimanche 23 février 2025 et quelle sera la position tenue par l’AfD après celles-ci ?

Les élections fédérales allemandes anticipées prévues le 23 février 2025, renouvelleront les 630 sièges du Bundestag. Initialement convoqué le 28 septembre prochain, le scrutin a été avancé en raison de la mise en minorité du gouvernement du chancelier Scholz et de l’éclatement de la coalition dite « en feu tricolore » en novembre dernier. Selon les derniers sondages, les sociaux-démocrates du SPD devraient être sèchement battus, la CDU menée par Friedrich Merz devrait l’emporter mais c’est surtout le score d’Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) ou AfD qui sera observé à la loupe.

AfD : un parti multiple, hétéroclite et évolutif

Depuis sa création en 2013, le parti AfD s’est implanté durablement dans le paysage politique allemand et en est devenu un acteur incontournable.
Mais qu’en est-il réellement de cette formation politique ?

L’auteur de ces lignes, a assisté au printemps 2023 en marge du CPAC à Budapest à une petite réunion informelle en compagnie d’un Allemand à la tête d’un institut œuvrant régulièrement pour l’AfD. Ce dernier confia à l’assistance qu’il serait plus judicieux de parler « des » AfD plutôt que de l’AfD. Au minimum, il faudrait selon lui en distinguer deux. Un premier pour les länder de l’ex-RFA et un autre pour les länder de l’ex-RDA. Et toujours selon ses dires : « Si l’on voulait vraiment être précis, il faudrait parler de seize AfD« . Il faut comprendre par le nombre « seize » que l’AfD affiche autant de singularités et de nuances que les seize länder qui composent l’Allemagne.

Certains militants de l’AfD en Allemagne de l’Est cultivent encore une forme d’ostalgie par exemple, quand d’autres  à l’Ouest, issus du monde des affaires et anciens électeurs de la CDU sont plus préoccupés par les questions de compétitivité et de coût de l’énergie. D’autres regrettent la rupture entre Berlin et Moscou depuis le 24 février 2022, quand d’autres militants plus discrets affichent une sympathie pour les mouvements nationalistes ukrainiens.

Les deux seuls dénominateurs communs entre ces différents AfD : une défiance et une méfiance de tous les instants à l’égard du « machin » bruxello-maastrichtien et la volonté de lutter contre l’envahisseur afro-oriental (2).

Les différentes évolutions programmatiques observées chez l’AfD depuis sa création en 2013 illustrent d’ailleurs ces deux dénominateurs communs. Comme le rappelait Johann Chapoutot, historien et spécialiste de l’Allemagne, dans un entretien accordé à la revue Le Grand Continent en 2024 : « À ses débuts, les cadres de l’AfD étaient principalement des universitaires — économistes, juristes — qui étaient fermement opposés à l’euro. Leur position était ancrée dans le traumatisme historique de l’hyperinflation de 1923 et elle mettait en avant des préoccupations liées à la souveraineté monétaire allemande, dans le contexte de la crise des dettes souveraines en Europe du Sud ». Et le même Chapoutot d’ajouter : « La réaction de l’AfD s’est notamment cristallisée contre le mandat de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Le mécontentement était double : d’abord, après Jean-Claude Trichet (un Français), la monnaie allemande était sous la gouverne d’un Italien. Ensuite, Draghi, avec sa politique du « Whatever it takes », a renforcé le sentiment de trahison« . 

Mais c’est évidemment le cataclysme migratoire orchestré par Angela Merkel en 2015 et des événements tragiques comme les viols et agressions sexuelles commis par des immigrants extra-européens à Cologne le 31 décembre de la même année qui décideront du tournant anti-invasion pris par l’AfD et pousseront le parti à faire passer légèrement au second plan la question de la sortie de l’euro (3).

L’AfD se rapproche notamment à cette époque du mouvement opposé à l’invasion migratoire PEGIDA (Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident ; en allemand Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes). PEGIDA se fait une solide réputation en 2015-16 en Allemagne pour organiser d’impressionnants rassemblements et des manifestations nombreuses à travers le pays pour dénoncer la submersion migratoire organisée par Angela Merkel.

A cette époque, l’AfD devient d’une certaine façon la vitrine électorale de PEGIDA et PEGIDA devient peu ou prou l’arrière-boutique activiste de l’AfD.

Progression dans les urnes

En septembre 2013, l’AfD avait manqué d’un cheveu d’intégrer le Bundestag alors que le parti n’avait été officiellement lancé qu’à la mi-avril de la même année. L’AfD avait alors recueilli plus de 2 millions de voix et 4,7% des suffrages.

L’AfD entrera finalement au Bundestag quatre ans plus tard en récoltant 12,6% des votes et en obtenant plus de 90 sièges à la chambre basse du Parlement. Entre ces deux élections, Angela Merkel avait en effet décidé d’accueillir à l’été 2015 plus d’un million de demandeurs d’asile essentiellement venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran et d’Érythrée…

Entre ces deux élections fédérales, l’AfD enregistre ses premiers succès : lors des Européennes de 2014, l’AfD obtient 7% et envoie sept eurodéputés à Strasbourg et la même année l’AfD dépasse la barre des 5% et obtient des sièges dans les parlements régionaux de Saxe, de Thuringe et dans le Brandebourg. En 2016, l’AfD consolide son assise électorale en poussant là encore la porte d’entrée de plusieurs parlements régionaux : en Rhénanie-Palatinat, dans le Bade-Wurtemberg et surtout en Saxe-Anhalt où le parti recueille 23% des voix.

Dès 2015, on note toutefois le premier couac : l’aile conservatrice du parti l’emporte sur l’aile dite « libérale » et cinq des sept eurodéputés quittent le parti pour fonder l’Alliance pour le progrès et le renouveau devenue par la suite Nous citoyens.

En juillet 2016, une autre crise éclate dans le Bade-Wurtemberg après les révélations autour d’écrits judéocritiques exhumés de l’ouvrage de l’élu Wolfgang Gedeon Le communisme vert et la dictature des minoritésCette polémique n’empêchera pas l’AfD en septembre de la même année de faire une nouvelle percée en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, de terminer deuxième et surtout de devancer la CDU.

Entre 2017 et 2021, des polémiques jalonnent la vie du parti, des départs fracassants font la une des journaux (celui de la porte-parole Frauke Petry notamment), des tensions internes très fortes éclatent au grand jour entre les partisans de la stratégie de la « banalisation » et les défenseurs d’une ligne sans concession souhaitant en finir une fois pour toutes avec la culpabilité post-1945.

Cette cacophonie contribue à la déception des élections fédérales de 2021. Le parti affiche une baisse de 2,3% et termine seulement en cinquième position.

Déception bien vite oubliée puisque dès le mois de juin 2023, l’AfD remporte un landkreis en ThuringeUne victoire qui fait l’effet d’une bombe en Allemagne. Aux Européennes de 2024, l’AfD flirte avec les 16% et réalise près de cinq points de plus par rapport à celles de 2019. Toujours en 2024 : le 1er septembre, l’AfD arrive en tête en Thuringe (une première pour le parti dans un scrutin régional) et trois semaines plus tard l’AfD fait jeu égal avec la CDU en Saxe et avec le SPD dans le Brandebourg.

Et maintenant ?

Vue de France, l’AfD donne l’impression de toujours osciller entre deux lignes. Une tendance préconise sans cesse la « normalisation », l’autre au contraire assume une forme de saine radicalité y compris en tendant une main fraternelle à des formations plus modestes comme Die Heimat (4). 

Alice Weidel, malgré ses choix privés hétérodoxes, semble être pour le moment un compromis (bancal) entre ces deux courants.

Autre question : l’ostracisme dont est victime l’AfD va-t-il durer indéfiniment ? Le vote commun en ce début d’année entre la CDU et l’AfD au Bundestag pour faire adopter une motion non contraignante exigeant de refouler aux frontières tous les étrangers illégaux, y compris les demandeurs d’asile constitue peut-être le premier coup de ciseaux qui permettra à terme de couper le cordon sanitaire mis en place après 1945.

Les choses allant extrêmement vite depuis quelques semaines et tout particulièrement depuis l’investiture de Trump à la Maison Blanche, il n’est pas dit qu’un certain nombre de données nous paraissant immuables, y compris dans la vie politique allemande, ne finissent jetées par-dessus bord si différents acteurs majeurs de la scène mondiale l’estiment nécessaire.

Maurice Gendre

(1) Le 20 décembre 2024, un homme au volant d’un puissant SUV commet une attaque meurtrière en fonçant sur la foule déambulant dans un marché de Noël de Magdebourg, à l’est du pays. Six personnes sont tuées et des centaines d’autres blessées. La police arrête sur place un Saoudien avec le statut de réfugié.

Début janvier, c’est au sud du pays, à Aschaffenbourg, qu’un assaillant armé d’un couteau de cuisine attaque un groupe d’élèves de maternelle, tuant un garçon de deux ans et un homme qui tentait de protéger les enfants. Un suspect afghan de 28 ans, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, est arrêté.

Le jeudi 13 février, c’est un nouvel attentat à la voiture bélier, dans le centre de Munich, qui secoue le pays. Une fillette de deux ans et sa mère ont été tuées par l’assaillant présumé, un Afghan de 24 ans arrivé dans le pays à l’adolescence, qui dit avoir agi par « motivation religieuse ».

(2) Il est d’ailleurs rarement souligné que ces deux thématiques que sont la lutte contre l’immigration-invasion et la critique de l’UE et plus particulièrement celle de l’euro avaient toutes deux été soulevées dans deux brûlots : Deutschland schafft sich ab (L’Allemagne court à sa perte) et Europa Braucht den euro nicht (L’Europe n’a pas besoin de l’euro)respectivement publiés en 2010 et 2012 en Allemagne et écrits par Thilo Sarrazin, un ancien du SPD et du directoire de la Bundesbank.

Les deux ouvrages avaient rencontré un énorme succès. 

Dans un article de 2011 rédigé pour Atlantico, Cécile Prat-Erkert rappelait la thèse développée par Sarrazin dans Deutschland schafft sich ab : « Sarrazin place l’avenir de l’Allemagne sous une lumière extrêmement pessimiste ; le déclin est inéluctable, et ce pour trois raisons liées entre elles: la démographie, la détérioration de l’intelligence et l’immigration en provenance de pays musulmans.

La démographie : Sarrazin convoque énormément de chiffres pour rappeler un lieu commun, à savoir que l’Allemagne est en récession démographique. Le solde naturel est négatif depuis 1972, le solde démographique global l’est également depuis 2002. De plus en plus de couples restent sans enfants, principalement parmi les « Allemands de souche » et les catégories socio-professionnelles élevées.

C’est ici qu’intervient le second argument : le capital humain de l’Allemagne ne cesse et ne cessera de se détériorer. En effet, les couches sociales défavorisées font plus d’enfants que les autres. Or la catégorie sociale, toujours d’après Sarrazin, est fortement corrélée à l’intelligence des individus. C’est donc la part des moins intelligents qui croît le plus vite.

Enfin, dernier argument, la politique d’immigration renforce cette tendance en ne faisant venir en Allemagne que des étrangers non qualifiés, grossissant les rangs des couches sociales défavorisées. Les immigrés musulmans posent à Sarrazin un problème particulier, n’ayant d’après lui ni la capacité ni la volonté de s’intégrer dans la société allemande« .

De son côté, Patrick Saint-Paul pour Le Figaro écrivait en 2012 lors de la sortie de Europa Braucht den euro nicht : « Sarrazin affirme que l’euro a apporté à l’Allemagne plus de risques financiers que de bénéfices économiques. Les avocats allemands de l’euro arguent que la monnaie unique a largement contribué à l’éclatante santé de l’économie alle­mande: il aurait rendu accessibles les produits germaniques, impayables avec un Deutsche Mark fort, dans l’eurozone, où l’Allemagne écoule 60 % de ses exportations. Sarrazin affirme au contraire que les échanges commerciaux de l’Alle­magne en dehors de la zone euro ont progressé plus rapidement qu’au sein de l’espace monétaire commun.

Sarrazin juge que l’établissement d’une union monétaire sans union politique était une folie. Si les autres membres de l’union monétaire sont incapables de respecter une discipline budgétaire germanique, alors ils devraient quitter l’euro, souligne-t-il. Si la culture de stabilité allemande ne s’impose pas dans la zone euro, ce serait alors à l’Allemagne d’envisager de la quitter. Surtout, il a déclenché un nouveau tollé en affirmant que son pays était l’otage de la zone euro et la victime d’un «chantage à l’Holocauste» le contraignant à financer les errements budgétaires de ses partenaires.

L’ex-sénateur aux Finances social-démocrate de Berlin estime que l’on veut forcer l’Allemagne à accepter les prin­cipes d’eurobonds, des emprunts communautaires européens, et de mutualisation des dettes pour prix de son passé nazi. En acceptant de renflouer la Grèce, écrit-il, l’Allemagne a révélé sa «prédisposition au chantage». Quant aux partisans allemands des obligations européennes, «ils sont poussés par ce réflexe très allemand selon lequel nous ne pourrions finalement expier l’Holocauste et la Deuxième Guerre mondiale qu’une fois transférés en des mains européennes l’ensemble de nos intérêts et de notre argent».

(3) Les paquets de sanctions décidés par l’UE contre la Russie et la destruction du gazoduc NorthStream décidée par les États-Unis d’Amérique (voir les travaux de Seymour Hersh) ont coûté très cher à l’Allemagne, l’ont plongée dans la récession et ont énormément fait souffrir son industrie à tel point que depuis quelques mois l’AfD a remis sur la table la question de l’appartenance à l’UE (Dexit).

(4) L’AfD s’est notamment rapprochée de Die Heimat dans la ville de Lauchhammer et dans le district d’Oberspreewald-Lausitz. Tino Chrupalla, chef de l’AfD au Bundestag, a récemment affirmé « qu’au niveau municipal il n’y aurait aucun cloisonnement avec d’autres partis”.

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