Un disciple de Barjavel et d’Orwell raconte, sous forme de roman, le « fantastique politique » de type soviétique
Le mot dystopie est à la mode. Mais je ne suis pas certain que tous les lecteurs sachent exactement de quoi il s’agit : Il désigne en fait une œuvre de fiction (film ou roman, le plus souvent) décrivant un monde (pays, société, univers clos) qui serait régi par un système totalitaire. On pense au Meilleur des mondes, le chef d’œuvre d’Aldous Huxley, ou à 1984, de George Orwell. On pense plus encore à Ravage, le roman de René Barjavel. Barjavel est un peu oublié, aujourd’hui. C’est dommage car cet écrivain français (1911-1985) est sans doute le plus représentatif des ambiances dystopiques.
Le mot « dystopie » vient du grec ancien : « dys-topos », ou « mauvais lieu » : dans une dystopie, les héros vivent une aventure dans un lieu clos, le plus souvent, un lieu et un système régis par des règles dictatoriales, plus que cela, même, totalitaires. Vie publique et vie privée sont soumis aux plus strictes normes, dictées par la machine, le parti, ou une coterie de fonctionnaires sans états d’âmes. Le plus souvent ni les héros du roman ni le lecteur lui-même ne savent pourquoi ces règles ont été imposées à la population.
Malosse se situe donc dans la veine d’un Barjavel, avec un poil de fantastique et de paranormal en plus.
Le quotidien de dizaines de millions d’Européens de l’Est
Le roman que vient de publier Malosse, La nuit dans leurs yeux, nous raconte l’histoire d’un pays, un pays communiste d’avant la chute du mur de Berlin – Pologne ou Ukraine, peut-être – soumis à un régime totalitaire -. Jusque-là, l’effort d’imagination de l’auteur n’est pas conséquent : ce que nous décrit Malosse a été le quotidien de dizaines de millions d’Européens de l’Est, entre 1945 et 1989.
L’originalité de l’histoire tient d’abord au fait que l’auteur nous raconte les destins de plusieurs personnages : des militaires, des petits voleurs de rue, des artistes du parti ou proches du parti, des apparatchiks, tous confrontés à ce régime absurde et affolant, et en particulier à un couvre-feu, qui s’impose chaque soir à toute la population. Violer le couvre-feu, c’est s’exposer à des problèmes gravissimes, que le lecteur va découvrir au fil du récit.
Il est difficile d’en dire plus à ce stade, car le suspens, le plaisir du lecteur, est précisément dans la découverte progressive des mystères que cache ce fameux couvre-feu.
Ceux qui ont bien connu l’Europe de l’Est sous le joug communiste verront dans ce roman une sorte de parabole de l’horreur. La fiction dépasse-t-elle la réalité ? Rien n’est moins certain.
Du « fantastique politique »
Pascal Malosse (corse par son père et polonais par sa mère) a un beau brin de plume et une fine connaissance des univers totalitaires. Ce roman est un petit bijou du « fantastique politique ». L’éditeur nous rappelle que son auteur a publié deux autres romans et plusieurs recueils de nouvelles. S’ils sont de la même qualité que celui-là, Pascal Malosse ne devrait pas tarder à percer au firmament des lettres françaises.
Francis Bergeron
La nuit dans leurs yeux, par Pascal Malosse, 2025, Ed. La Clé d’Argent, 25 Bd Albert Einstein, 21000 Dijon, 22€

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