Mis en forme d’un roman de Simenon, L’Horloger de Saint-Paul est le titre d’un film de Bertrand Tavernier dont l’action se déroule presque exclusivement à Lyon, ci-devant Lugdunum, c’est à dire littéralement « la forteresse ou butte du dieu Lug », divinité celtique dont le messager est un corbeau, volatile doué d’intelligence, puisque capable d’utiliser des outils rudimentaires mais aussi de tenir dans son bec un fromage…
Comme grand nombre de corvidés, il facilement apprivoisable quand il est tout petit (voir La pie saoule d’Henry Vincenot. Denoël. 1956.). Dans la mythologie germanique et nordique, c’est l’équivalent d’Odin, dieu chaman du vent du nord, receveur et transmetteur des runes magiques et divinatoires (FUTHARK), qui était fidèlement accompagné de ses deux corbeaux Hugin (la pensée, l’esprit) et Munin (la mémoire). Le nom de Lyon n’a donc aucun lien avec le fauve représenté en héraldique, blason des comtes de Lyon au Xème siècle mais peut-être avec le lugos gaulois (corbeau) associé à dunum (colline). Sur ce sujet comme sur d’autres, on se perd en conjectures et en doutes légalement permis… Une fois n’est pas coutume.
Je ferais volontiers l’apologie d’un long métrage sorti en 1974, pas tout à fait gauchiste, mais caricatural sur plusieurs points. L’action commence, comme il se doit dans un bouchon, situé rue du Garet près de l’Hôtel de Ville, en bas de la colline de Croix-Rousse, dite « Colline qui travaille », celle des canuts, des veloutiers, des ferrandiniers et des Dévorants, maîtres de la ville lors de l’insurrection sanglante de 1831. L’acteur principal, n’est autre Philippe Noiret. On le retrouvera plus tard dans Uranus de Claude Berri (né Langman), film tragi-comique ayant pour thème l’épuration et la main mise sur la France par le PC « F » à la libération (adaptation assez fidèle du roman éponyme de Marcel Aymé). Le deuxième rôle est attribué au grand Jean Rochefort qui avait été traumatisé par cette épouvante, il habitait alors Vichy… Il en parlait lors d’émissions télévisées qui lui étaient consacrées pour la sortie de son livre; les yeux encore remplis d’effroi et d’incompréhension; évoquant un bébé qu’on brandissait par les pieds comme un poulet, en guise de trophée, au pied d’une foule hilare, abrutie de haine, devant la maman nue, tondue, recouverte de glaires et de crachats (Jean Rochefort avait 14 ans, c’était du reste la première fois qu’il voyait une femme dévêtue). Et ces deux gamines d’à peu près son âge, lapidées, avec, comme il dit urinement sur le corps. Et des collaborateurs réels ou présumés qu’on gonflait par le fondement à l’aide d’un compresseur à pneus et qui imploraient leurs bourreaux sadiques afin qu’ils les tuassent. (Jean Rochefort. Ce genre de choses. 2013. Stock).
Détaillons, détaillons…
Si nous devions lire une encyclopédie d’Histoire générale en huit tomes fort lourds, épais et denses (comme le Michel Mourre) ou consacrée entièrement à la deuxième guerre mondiale, ou bien encore les cinq tomes de l’historien Henri Amouroux (La vie des Français sous l’occupation. 1981. Robert Laffont), il nous faudrait constater, pour le coup, que l’épuration, fut particulièrement inhumaine mais n’est littéralement qu’un détail de toute l’histoire de la seconde guerre mondiale. Le détail demeurant cette infime partie d’un tout qui, une fois vue, peut en changer tout le sens
« Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà »… Jean-Marie Le Pen en a fait les frais, mais comme disait encore Pascal : « La vérité est si obscurcie en ce temps et le mensonge si établi, qu’à moins que d’aimer la vérité on ne saurait la connaître. »
De Saint-Paul à Saint Jean
Bon d’là ! revenons à nos traboules, nos collines et notre fil d’Ariane, ce film cicérone qui commence par une diatribe contre les Français partisans de la peine de mort, assortie d’une moquerie à propos de l’académicien Michel Droit jugé trop à droite, passons. On apprend par la suite que le salaud de l’histoire, dont provient tout le mal, est un ancien para ayant servi dans nos anciens départements outre-méditérranéens pendant l’opération de maintien de l’ordre (1954-1962). La ficelle est grosse comme un funiculaire (c’est le sobriquet de celui qui mène à Fourvière et à Saint-Just), ou comme un jésus (saucisson lyonnais assez long et surtout large sur sa base, en forme de poire) mais le jeu des acteurs est prenant et puis l’on découvre la ville dans cette époque post-soixante-huitarde. Avec des voitures à essence dopées au « super » ou à « l’ordinaire », des 2-chevaux, 4 L, Ami-6 Citroën ou indémodable et sulfureuse Coccinelle, dont la conception doit tout à qui vous savez ; le petit peuple du marché essentiellement blanc alors, évoluant clopin-clopant par des allées pavées, qui comme la rue Lepic montent fort sans être à pic, dans ce quartier Saint-Paul, toujours authentique et des plus impassibles (les touristes ne se déplacent pas trop jusque-là, la racaille ne le fréquente pas et la police semble absente).
Le quartier Saint-Jean, c’est le vieux Lyon, au contraire touristique à souhait avec ses nombreux restaurants tout à fait remarquables par la qualité des produits servis à des prix vraiment corrects. Quenelles joufflues, soupe à l’oignon, saucisson pistaché et poulet Célestine dont parle Marthe Daudet dans son livre Les bons plats de France, réédité en 2008 par les éditions du CNRS, s’il vous plait ! Bon sang ne saurait mentir.
Suivez le film !
Le cinéaste nous emmène de la place des Terreaux, où trône la fontaine de Bartholdi (« Les fleuves et les sources allant à l’océan » représentés par quatre chevaux musculeux), sous les fenêtres arrières de l’hôtel-de-ville jusqu’à la place du Port-Neuville, jadis bas port sur la Saône où le petit Béraud aimait s’amuser. Une autre action se passe place Rouville sur les pentes de la Croix-Rousse, quartier désormais étudiant-dian-dian, un peu turbulent mais sécure (je recommande la résidence hôtelière, facile d’accès, économique, muni d’une kitchenette où l’on peut réchauffer son fricot : « Cercle Villemanzy Bellambra » ancien hôpital militaire au parking gratuit).
Dans un véhicule de police nous roulons maintenant au bord du fleuve féminin, le fleuve masculin étant le Rhône. Admirons les façades à l’italienne de la Renaissance et les ponts, ouvrages d’art. Voici la tour métallique, insolite, républicaine (pouah !) inaugurée lors de l’Exposition universelle et coloniale en 1894 et Notre-Dame de Fourvières (avec un s final, je vous prie), blanc vaisseau surmonté par la statue de saint Michel archange, patron des paras, katechon céleste. Depuis la colline, la vue vaut dix ! comme disait ma mémé. Et puis, face à la statue du pape Jean-Paul II, on entre tout de bon par la porte principale et monumentale du sanctuaire, car Dieu est grand ! Nous descendons par suite dans la chapelle à taille humaine… Le Verbe s’est fait chair. Puis dans la crypte la plus profonde et la plus taiseuse, Dieu est humble.
Et maintenant, tous au théâtre ! Ou au cinématographe…
Au sortir de l’église de construction récente, puisque édifiée en 1872 en remerciement à la vierge Marie d’avoir protégé Lyon des Prussiens, nous nous rendrons sur les lieux de la plus longue histoire, le théâtre antique construit sous l’empereur Auguste pour redescendre à pied vers la ville, la presqu’île. C’était le terrain de jeux du gone Henri Béraud, fils du boulanger, propriétaire de « La Gerbe d’Or ». Aujourd’hui ce quartier principal est commerçant mais sans attrait particulier et la boulangerie remplacée par un cabinet de psychiatre… O tempora, o mores… Les frères Lumière y enregistrèrent et y projetèrent leurs premiers films. Il s’en fut de peu pour que la Banque de France (jadis souveraine dans un pays souverain et donc battant monnaie) émît un billet à l’effigie d’Auguste et Louis… Les ligues de petite vertu qui nous gouvernent en sourdine s’y sont opposées. Et pour cause… Ce binôme de choc avait publiquement déclaré sa flamme au Duce en 1935 dans une publication du secrétariat des Groupes Universitaires Fascistes. Louis Lumière fut désigné membre du Conseil national crée par le Maréchal en 1941. Auguste Lumière siégeait quant à lui au conseil municipal de Lyon mis en place par le régime de Vichy la même année et faisait partie du comité d’honneur de la LVF en 1941-1942. Les deux frères reçurent la décoration de la Francisque — également attribuée à François Mittran, comme prononçait le truculent Georges Marchais, lui-même ancien ouvrier volontaire en Allemagne nazie et donc récipiendaire de fiches de paye signées par Messerschmitt à Augsbourg; tandis que le nom de Le Pen figurait déjà sur le monument aux morts de La Trinité-sur-Mer.
Le nationalisme, c’est la terre et les morts
C’est un concept que nous devons à Maurice Barrès. Zeev Sternhell, historien israélien prolifique (Maurice Barrès et le nationalisme français ». 1972. « La droite révolutionnaire ». 1978.) présuppose que l’académicien lorrain fut l’inventeur du fascisme. Ma foi… quel exégète ! Aussi le cinéaste nous emmène-t-il dans l’île aux Cygnes par un insolite passage souterrain dont force Lyonnais ignorent jusqu’à l’existence. Cette Ile du Souvenir est dédié aux dix-mille-six-cent Lyonnais morts au combat pour la France lors de la Grande Guerre et se situe dans le grand parc de la Tête-d’Or que l’on gagne facilement à pied en remontant le Rhône qui abreuve le lac. Les noms des braves héros d’autrefois sont gravés à jamais dans le marbre et le cénotaphe imposant et sobre invite au recueillement ainsi qu’aux combats de demain !
« Les Lyonnais sont tous prêts / Ils embrasseront leurs frères / Mais puniront vos forfaits ». Chant des fédéralistes lyonnais soulevés contre la Convention en 1793, commandés par le dauphinois Monsieur Louis François Perrin de Précy et vaincus après soixante-trois jours de siège, attaqués par un ennemi sans foi ni loi, usant des plus odieux et meurtriers stratagèmes, incendie, bombardement, calomnie, perfidie, trahison. Les trois forts, le 29 septembre, cèdent un à un comme les PC de Dien Bien Phû le 7 mai 1954. Les noms de Sainte-Foy, Saint-Irénée, Saint-Just précédent ceux de Gabrielle, de Béatrice ou d’Isabelle…
La Voie de l’Océan
Pour ce qui est de la grande Histoire et de l’actualité, une porte gigantesque vient d’être retrouvée. « l y a quelques semaines, les archéologues ont découvert les fondations d’une tour, de plus de huit mètres de diamètre, composante d’une monumentale porte d’entrée de Lugdunum. Elle comporte des passages pour les piétons, mais aussi une ou deux portes pour les charrettes. Une découverte inédite, à plus de cinq mètres de profondeur. Les fouilles ont également mis au jour une voie romaine datant du Ier siècle quasi intacte, recherchée depuis longtemps par les archéologues : La Voie de l’Océan. Elle permettait de relier la capitale des Gaules à la Manche ».*
Franck Nicolle
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