Le dernier numéro de la Revue d’histoire européenne, outre un dossier sur la face cachée de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale et un retour sur l’histoire de l’Œuvre française de Pierre Sidos, évoque dans un long article d’Olivier D’Aussant l’épopée des premiers chrétiens japonais.
En 1543, les navigateurs portugais sont les premiers Européens à rentrer en contact avec la brillante civilisation japonaise. L’archipel nippon est alors dominé par un système féodal qui repose sur des seigneurs locaux en lutte entre eux. Ce qui n’empêche pas une société en plein développement dans les domaines du commerce, de l’artisanat et des arts de s’épanouir. Les Portugais vont s’intégrer à ce dynamisme en assurant les échanges commerciaux avec le reste du monde connu à l’époque.
Très vite, en 1549, c’est le jésuite saint François-Xavier qui débute l’évangélisation de l’archipel. Il gagne les premières âmes et place tous ses espoirs dans les Japonais qui sont pour lui le peuple païen le plus proche de la foi chrétienne. Le travail missionnaire va être un grand défi avec l’apprentissage par les jésuites de la langue et la traduction des principes catholiques. Il va porter des fruits prodigieux avec la conversion de paysans, de pêcheurs, de samouraïs et même de seigneurs. Les Portugais fondent un comptoir à Nagasaki qui va devenir durant près de 100 ans une ville catholique fleurissante avec des églises, des missions, une imprimerie et sa bibliothèque.
Durant les soixante-dix années de leur présence, les jésuites (rejoints par d’autres ordres mendiants comme les franciscains et les dominicains) convertissent environ 300 000 Japonais. Ce chiffre peut paraître faible par rapport à l’ensemble de la population japonaise d’alors (on estime qu’1,3 % des 18 millions d’habitants de l’île ont rejoint le catholicisme à l’époque), mais à l’échelle de certaines seigneuries méridionales, le christianisme était devenu la religion officielle.
Mais en 1578, les catholiques vont être déclarés suspects aux yeux de la puissance montante. Unifiant alors le Japon en écrasant les grands féodaux, le clan Tokugawa vient de prendre le shogunat et écrase progressivement tous ses adversaires. De 1603 à 1867, ils vont unifier l’archipel et mettre en place un État centralisé qui garantira la prospérité et la paix.
Les chrétiens avec leurs liens avec les puissances catholiques ibériques (Portugais et Espagnols) sont vus comme un potentiel facteur d’ingérence étrangère. « Au pays des dieux et des bouddhas », les chrétiens ne veulent pas participer à la vie religieuse civique du bouddhisme et du shintoïsme. L’affrontement était donc inévitable. En 1614, le shogunat promulgue l’édit interdisant définitivement le christianisme au Japon. Ce texte restera en vigueur jusqu’en 1873 et servira de fondement à toutes les persécutions contre les « chrétiens cachés ».
Des chrétiens japonais, dont de nombreux séminaristes, font le choix de l’exil. Bravant l’interdiction, des prêtres tentent de se maintenir au Japon. Ils sont cachés par leurs fidèles qui organisent tout un réseau pour leur permettre de poursuivre leur sacerdoce. Impitoyablement traqués, ils vont connaître d’effroyables tortures et leurs martyres sanglants vont renforcer la conviction des catholiques nippons.
Le Japon se coupe alors du monde et interdit toute présence étrangère. De l’extérieur, plusieurs prêtres tenteront durant plusieurs siècles de rentrer clandestinement dans l’archipel. Capturés, ils seront tous exécutés.
Pourtant le christianisme ne va pas disparaître de l’île. Les bons pères avaient bien préparé leurs convertis. Au sein des communautés chrétiennes, des confréries secrètes se forment pour transmettre le message du Christ. Ne pouvant recevoir les sacrements faute de prêtres, elles vont mener des prières collectives secrètes et assurer les baptêmes sur plusieurs générations. Les prières en latin sont transmises oralement et de multiples bribes de missel portugais sont conservées religieusement dans les familles.
Si les révoltes chrétiennes armées sont écrasées sans pitié, la foi du silence va permettre durant presque deux cents ans de conserver l’expérience des fidèles. Quand les pères français des Missions étrangères seront autorisés à revenir à la suite de la réouverture du Japon en 1854, ils auront la surprise de voir ses chrétiens cachés réapparaître et leur assurer de leur fidélité au Christ et à la sainte Vierge.
Il existe encore aujourd’hui des petites communautés de chrétiens cachés qui ont conservé leurs propres rites et refusent de sortir de la clandestinité et de rejoindre l’Église officielle. Ils se veulent fidèles avant tout à la pratique de leur lignée. La « foi des ancêtres » doit rester secrète pour eux.
François Fourment
REVUE D’HISTOIRE EUROPEENNE N° 25 AOUT SEPTEMBRE 2025 En kiosque ou en commande sur https://www.librairie-du-collectionneur.fr/

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